SOMMAIRES des N°40-41

N°40 - POUR UN HUMANISME ÉCLAIRÉ -
Vingtième anniversaire de la Revue
Introduction : l’humanisme s’apprend…
Humanisme et psychologie

Maridjo GRANER
De la culture de guerre à la culture de paix.
Armen TARPINIAN
Ethique du dialogue : un enjeu évolutif.
Georges HERVE
Pour une école « créatrice d’humanité »
Fred MEYER
Apprendre la démocratie
Charles ROJZMAN
Civilisation : mal-être et thérapie
Laurence BARANSKI
Transformer, se transformer
Cyrille CAHEN
Vivre en couple
Jane CAHEN
Humour et éducation
Edmond MARC
Humanisme et psychothérapie
Alain DELOURME
Pour un humanisme prospectif…

Un autre regard sur la société

Edgar MORIN
Contre l’intelligence myope, pour une pensée anticipatrice…
Jacques ROBIN
Où va l’humanité ?
Patrick VIVERET
Compter et vivre autrement
René PASSET
De l’économie de l’avoir à une économie de l’être

Sens et humanisme

Paul DIEL
Évolution et humanisme
Armand PETITJEAN
Pour une éthique de la responsabilité
Bruno VIARD
La fraternité au centre…
Armen TARPINIAN
Justice : répression et compréhension
Jean TELLEZ
L’avènement de l’humain
François GRANER
L’esprit scientifique :un tournant anthropologique ?
Cyrille CAHEN
L’homme a-t-il pris la place de Dieu ?
Nicole VAN DER ELST
Ouverture... Poèmes
Michel DUSSAUD
Humanisme et transcendance
Georgina MELIOR
Des chemins pour la vieillesse…
Najib ARFOUI
Crise d’identité

L’HUMANISME S'APPREND…
Armen TARPINIAN

Ce sont les lentes évolutions qui, le plus souvent, font les vraies révolutions. Les méfaits de l’histoire sont généralement rapides, procèdent par explosions, même si l’on a pu assister, avec bonheur, à des « révolutions de velours ». Ainsi, l’on pourrait dire de la grande Révolution française qu’elle a vite sombré dans la Terreur, mais que ses idées-forces, tout comme les idées-forces du christianisme, sont demeurées de germination lente : la fraternité et l’amour sont loin encore de former le tissu serré dont l’humanité, pour survivre peut-être, aurait besoin ! L’aventure humaine en est encore, comme le rappelle souvent Edgar Morin, à sa préhistoire. D’autant que les mutations démographiques et technologiques en ont vivement complexifié le chemin.

L’invention de l’imprimerie, destinée idéalement à répandre « le meilleur », en l’occurrence la Bible, a autant servi à diffuser le pire. Celle d’Internet peut fédérer des solidarités et des actions politiques inédites et positives, mais peut aussi servir les causes les plus inhumaines ou délirantes. La vraie question, aujourd’hui, est de savoir si l’humanité parviendra à articuler le temps de l’urgence qui appelle des solutions politiques et celui, lent, de l’évolution des mentalités, de la maturation psychique ; à parer aux dangers les plus menaçants, écologiques et sociaux, à ouvrir les voies et se donner à temps les outils nécessaires pour mieux vivre et survivre.

Progrès et évolution hélas! n’avancent pas au même rythme car ils ne sont pas du même registre ; l’un est de l’ordre de l’utile (ou non), l’autre du vital (cf. Revue n° 23). Inventer des armements « performants » et les vendre, comme on fait, aux pires dictatures, va plus vite que développer une vraie sagesse, collectivement partagée ! L’institution démocratique, même si elle demeure « préférable », comme dit Robert Misrahi, se perd elle-même si elle ne s’accompagne pas d’une éducation à l’esprit démocratique.

Il y a, comme nous le rappelle Jacques Robin, des raisons de désespérer, mais aussi des lueurs d’espérance liées aux sursauts de clairvoyance et aux pistes d’actions que déjà suscitent les anticipations du pire. « Un autre monde est possible… ». À quelles conditions ?

Hier, les peuples s’entr’égorgeaient ; aujourd’hui, des individus, seuls ou par petits groupes, pourraient, d’un simple geste technique, anéantir des populations entières. Et l’on n’en est qu’aux balbutiements de ce langage obtus, haineux, meurtrier, par lequel s’expriment les frustrations et la désorientation individuelles et collectives. Après avoir surmonté leurs propres folies, nos démocraties, qui finissaient par se croire protégées, doivent prendre acte de leur vulnérabilité et, en même temps, de leur responsabilité : comprendre dans toute sa profondeur et son étendue, ce que l’humanité est en train de vivre ; ce en quoi nous sommes impliqués, comment nous pouvons, en urgence et en action patiente, réagir et agir. Il n’y a de vraie compréhension et d’action sensée que dans une approche systémique.

C’est dans ce croisement d’inquiétude vitale et de recherche de vraies issues que, depuis vingt ans, la revue puise sa raison d’être et le souci essentiel qui l’anime : relier ce qui est disjoint, la connaissance du monde intérieur (la Psychique) et les sciences du monde extérieur, l’introspection et l’action, l’éducation et la politique ; dépasser la double illusion de vouloir changer le monde, ou même plus simplement notre vie au quotidien, sans nous changer nous-mêmes, ou de nous changer nous-mêmes sans changer le monde. D’où l’insistance de la revue sur l’indispensable articulation entre le développement individuel et le développement collectif. On peut rêver des conséquences humaines et politiques que pourrait entraîner l’intégration d’un tel paradigme dans les études générales, à l’ENA par exemple !(*)
(*) Ce paradigme est depuis longtemps au cœur de notre travail et explique notre engagement en divers réseaux, et notamment dans « l’Association Interactions Transformation personnelle - Transformation sociale (TP-TS) » ainsi que dans la « Commission Education de la Coordination française pour la Décennie de la paix et de la non-violence » (cf. page18), et dans « Les Dialogues en humanité » auxquels nous avons consacré un dossier dans le N° 37, « Repenser la réussite… ».
Apprentissages fondamentaux

Ce numéro de vingtième anniversaire se veut une illustration du chemin parcouru. Il rassemble des textes significatifs déjà publiés et d’autres, plus nombreux, issus du même souci qui est, pour l’exprimer autrement, de sortir l’humanisme des proclamations d’intentions et de principes ; de lui ouvrir des voies et le doter d’outils d’humanisation.

Ce terme désigne le processus évolutif qui peut nous conduire, individuellement et collectivement, à travers des apprentissages, et non des exhortations et des sermons, au déploiement de ce qui fait l’humain. A savoir, la qualité du lien dans toutes ses nuances, allant de la cordialité et la tolérance à l’amitié et l’amour, et la force du jugement dégagé des préjugés, la lucidité de l’esprit. Cela appelle à des formes d’éducation et de co-éducation qui ne sont pas toutes, loin de là, à inventer, et qui sont de nature à constituer un programme de réflexion, d’expériences et de formation, à la fois « spirituel » et « politique », sans lequel ces mots restent facilement des coquilles vides, et l’humanité un chemin sans repères.

On le sait, en France, plus qu’en d’autres pays d’Europe, malgré bien des instructions officielles et la pratique même de beaucoup d’enseignants, la représentation dominante demeure que l’école est un lieu de transmission de connaissances intellectuelle et, au mieux secondairement, un lieu d’apprentissage de la vie. Aux élèves de s’adapter au système – ce que beaucoup font, mais souvent à quel prix ? – et non au système de s’ouvrir à la réceptivité réelle des élèves, à leur rythme d’apprentissage, de comprendre les blocages, leurs causes et leurs remèdes. Cet aspect de l’éducation est entièrement négligé dans la formation des adultes qui ne l’ont pas non plus reçu durant leur parcours d’élèves.

Il en résulte que les apprentissages fondamentaux de connaissance de soi et de relation à autrui ne sont pas traités, ou de seconde main, alors qu’on en demeure toute sa vie les élèves.

Entre les solutions urgentes et la sédimentation patiente, l’éducation à la vie constitue le chemin mitoyen. Cela se comprend mieux si l’on donne un exemple : qui ne voit que les solutions politiques globales touchant aux questions graves de l’environnement ne sauraient être fécondes sans une éducation à la responsabilité personnelle qui dépasse le niveau de l’information ? (cf Georges Hervé, N° 39). Insistons. Les connaissances et les outils existent et ont fait leurs preuves. Mais ils attendent d’être intégrés, officiellement validés, généralisés. Leur négligence, nous l’avons souvent écrit, coûte cher aux personnes et à la société ; elle contribue à creuser « le trou » de la Sécurité sociale ! (voir N° 36, L’école en chantier…).

Ces apprentissages visant à répondre aux besoins fondamentaux des individus ne sont pas séparables des besoins de l’espèce humaine. La sagesse des uns assure la survie de l’autre : de l’humanité, dans son parcours ambivalent de solidarité et d’hostilité, d’intelligence et d’aveuglement.

Le titre de ce numéro désigne un humanisme éclairé et animé de connaissances et de pratiques « créatrices d’humanité ». À vrai dire, il n’est pas sans lien avec la forte réflexion que Jean-Pierre Dupuy nous offre dans son ouvrage Pour un catastrophisme éclairé : quand l’impossible est certain (Seuil, 2004). A savoir que, fondamentalement, l’on a tout à gagner à voir la réalité de la société telle qu’elle est et telle qu’elle va, à surmonter le déni de nos peurs, afin de mieux assurer les possibilités de sauvetage de l’embarcation humaine. Cela ne pourra s’accomplir que par des gains d’humanité, dans le sens où nous avons défini ce terme.
Humanisme et sciences humaines

Le siècle des Lumières a pâti des ombres qu’il a ignorées. Les temps n’étaient pas tout à fait mûrs et leurs meilleures leçons n’ont pas forcément été entendues.

La psychologie des profondeurs et son travail sur les ombres – quelles que soient ses vicissitudes et ses propres ombres rappelées et analysées ici par Edmond Marc – a permis de mieux comprendre et identifier ce qui, en nous, va contre nous-mêmes, et ce que peuvent être les ressorts permettant le déploiement des capacités humaines fondamentales. Entre barbarie et sociabilité, les lumières venues de la psychothérapie nous aident à nous orienter et à nous (re)construire. Et, dans le même dynamisme s’élargissent en sociothérapie. E. Marc écrivait dans sa préface à « L’Art d’aider II. Psychothérapie, culture, société » (Revue N° 35) : Si la psychothérapie a un rôle à jouer dans la société d’aujourd’hui, c’est d’abord comme instrument de base d’une relation d’aide qui tend à soulager les souffrances, les angoisses et les crises des individus. Dans ce sens, elle a apporté des notions théoriques, des outils pratiques et des valeurs éthiques tout à fait essentiels. Mais c’est aussi comme pourvoyeuse de concepts, d’exigences et de démarches qui trouvent à s’appliquer bien au-delà du domaine de la pathologie individuelle. Pour donner un exemple, l’approche non directive de Carl Rogers, élaborée dans le cadre de la thérapie, a permis de renouveler profondément les conceptions du conseil et de la relation d’aide, de la pédagogie, la façon de conduire différentes formes d’entretien et d’appréhender les relations de travail, la résolution des conflits, etc. Il en est de même pour la psychologie adlérienne, la psychologie de la motivation, l’analyse transactionnelle, l’approche systémique, la gestalt-thérapie… »(**).

On ne sait pas assez combien, déjà, ces applications d’origine psychothérapique agissent, assurent préventivement la résolution de beaucoup de conflits, ceux comme le disait Michel Rocard dont « on ne parle pas car ils ont été évités » (N° 28, L’Art de la paix). C’est aussi dans cet humanisme discret et actif, signe profond d’évolution que l’on retrouve dans de multiples actions associatives et citoyennes, que nous puisons notre confiance dans l’avenir.

Ajoutons que les acquis les plus avancés des sciences humaines, d’ailleurs fécondées par les connaissances issues de la recherche psychothérapique,

permettent un réensemencement de la culture dont la force préventive et formatrice contribue, dans le temps long, à armer l’humanité contre ses plus dangereuses faiblesses. Et, mieux, à développer ses meilleures capacités et ressources.

Mais parviendrons-nous à temps à accompagner la mondialisation, qui est une chance anthropologique, par une anthropolitique (Morin) qui évite qu’elle devienne notre malheur ?

L’idée-force de notre travail qui, nous l’espérons, devrait ressortir de ce numéro-synthèse, est que si vivre est un miracle qui devient question et destin, c’est aussi un métier qui tout le long de la vie s’apprend… C’est en quoi vieillir demeure, tant que l’esprit veille, une jeunesse.
(**) Voir « Note sur la psychothérapie et la loi », page 60


N° 41
- EDUCATION ET SOCIETE -
PSYCHOTHERAPIE : les errements de la legislation
Vivre s’apprend…
Armen Tarpinian
Apprentissages fondamentaux
Edgar Morin
La réforme de pensée et de vie
Vincent Roussel
L'éducation à la non-violence et à la paix
Daniel Favre
Transmettre des savoirs et former des citoyens ?
Didier Minot
De quoi les citoyens ont-ils besoin pour créer un monde solidaire ?
Maridjo Graner
Encourager l’estime de soi et le respect de l’autre
Michel Portal
Éduquer au choix démocratique
Georges Hervé
Faut-il revenir aux sources de l’Ecole de Jules Ferry ?
Charles et Théa Rojzman
Apprendre à vivre ensemble à l’école
Ludovic Bot
De l’enseignement des sciences à la formation de la personne
Mariana Lacombe
Enseigner : à la recherche de l'action sensée
Jacques Lecomte
La psychologie positive
Nicole Van der Elst
Les interactions dans notre vie quotidienne,
Xavier Lainé
L’éducation somatique : de l’introspection à la prévention
Jean-Luc Berger
Une pratique de l'introspection
L'humanité face à son avenir
Armen Tarpinian
L’avenir de la vie sur notre planète
Sacha Goldman
Collegium International éthique, scientifique et politique
Edgar Morin
Ce que nous savions déjà…
Jean-Pierre Dupuy
Urgence et lucidité
Michel Rocard
À l’aube d’une ère nouvelle
Déclaration universelle d’interdépendance
Stéphane Hessel
Le rôle du Conseil des Droits de l’Homme
Jean-Claude Carrière
Est-ce le dernier acte ?

EdUCATION ET SOCIETE
Armen Tarpinian
VIVRE S’APPREND

Ce numéro, comme le précédent dont il est la suite, rassemble des textes issus du souci de sortir l’humanisme des proclamations d’intentions et de principes ; de lui ouvrir des voies et le doter d’outils d’humanisation. Ce terme, soyons clairs, désigne le processus évolutif qui peut nous conduire, individuellement et collectivement, à travers des apprentissages et non des exhortations et des sermons, au déploiement de ce qui fait l’humain : à savoir, la qualité du lien dans toutes ses nuances, allant de la cordialité et la tolérance à l’amitié et l’amour ; la lucidité de l’esprit qui est connaissance de soi et force du jugement dégagé des préjugés. Cela appelle à des formes d’éducation et de co-éducation, qui ne sont pas toutes à inventer, permettant de constituer un programme de réflexion, d’expérience et de formation à la fois « spirituel » et « politique », sans lequel ces mots restent facilement des coquilles vides, et l’humanisation un chemin sans repères.

On le sait, en France, plus qu’en d’autres pays d’Europe, malgré bien des instructions officielles et la pratique même de beaucoup d’enseignants, la représentation dominante demeure que l’école est un lieu de transmission de connaissances intellectuelles, et, au mieux secondairement, un lieu d’apprentissage de la vie. Aux élèves de s’adapter au système – ce que beaucoup font, mais souvent à quel prix ? – et non au système à s’ouvrir à la réceptivité réelle des élèves, à leur rythme d’apprentissage, à comprendre les blocages, leurs causes et leurs remèdes. Cet aspect de l’éducation est entièrement négligé dans la formation des adultes qui ne l’ont pas non plus reçu durant leur parcours d’élèves.Il en résulte que les apprentissages fondamentaux de connaissance de soi et de relation à autrui ne sont pas traités, ou de seconde main, alors qu’on en demeure toute sa vie les élèves.

Entre les solutions urgentes et la sédimentation patiente, l’éducation à la vie constitue le chemin mitoyen. Cela se comprend mieux si l’on donne un exemple : qui ne voit que les solutions politiques globales touchant aux questions graves de l’environnement ne sauraient être fécondes sans une éducation à la responsabilité personnelle qui dépasse le niveau de l’information.

Insistons. Les connaissances et les outils existent et ont fait leurs preuves. Mais ils attendent d’être intégrés, officiellement validés, généralisés. Leur négligence, nous l’avons souvent écrit, coûte cher aux personnes et à la société (Cf.Revue N° 21, Le dialogue ; N° 28, L’art de la paix ; N°31, Education et humanisation ; N° 36, L’école en chantier…).

Ces apprentissages visant à répondre aux besoins fondamentaux des individus ne sont pas séparables des besoins de l’espèce humaine. La sagesse des uns assure la survie de l’autre : de l’humanité dans son parcours ambivalent de solidarité et d’hostilité, d’intelligence et d’aveuglement.

La vraie question, aujourd’hui, est de savoir si l’humanité parviendra à articuler à temps… le temps de l’urgence qui appelle des solutions politiques et celui, lent, de l’évolution des mentalités, de la maturation psychique. A parer aux dangers les plus menaçants, écologiques et sociaux, à ouvrir des voies et se donner à temps les outils nécessaires pour mieux vivre et survivre.