SOMMAIRES des N°36-37-38-39

N° 36
- L’ÉCOLE EN CHANTIER… -

Armen TARPINIAN
Pour une utopie créatrice
André de PERETTI
École : la pierre angulaire (Entretien)
Georges HERVÉ
Quelle école pour quels individus, quelle société, quelle humanité ?
Bruno MATTÉI
École et éthique
Olivier CLERC
Un programme pour le millénaire : développer le quotient relationnel (QR)
Maridjo GRANER
L’estime de soi dans le milieu scolaire
Jane CAHEN
L’enfant, le jeu et le travail
Jacques FORTIN
Développer les compétences psychosociales à l’école
Vincent ROUSSEL
Promouvoir une éducation à la non-violence pour la paix
Véronique GUÉRIN
Pour une autorité éducative
Aline PEIGNAULT
La démocratie à l’école
Daniel FAVRE
L’erreur et la faute
Jacques LECOMTE
Les enseignants, tuteurs potentiels de résilience
Claire HÉBER-SUFFRIN
Enseignants : travailler en équipe…
Marie-Françoise BONICEL
Formation des chefs d’établissements
André GIORDAN
Apprendre ;.. mais quoi et comment ?
Jacques ROBIN
Hommage à Armand PETITJEAN
LA PSYCHOTHÉRAPIE ET LA LOI - LETTRE AUX PARLEMENTAIRES

Décembre 2003
POUR UNE UTOPIE CRÉATRICE

[…] Aussi s’agit-il de replacer les enjeux de l’école, ses missions et ses pratiques, dans l’enjeu anthropologique le plus large, celui d’une éducation génératrice de plus d’humanité. C’est-à-dire pouvant conduire chacun au meilleur emploi possible de ses capacités essentielles : plénitude des sentiments (amour, cordialité, sociabilité) ; clarté de la pensée (lucidité, connaissance de soi, esprit critique) ; force de la volonté (action, engagement personnel et citoyen).

Dans l’optique de la psychologie de la motivation, ces qualités constituent des idéaux donnant leur sens le plus profond à l’éducation et à la culture. Il ne s’agit pas de les invoquer mais d’apprendre à les cultiver. À l’échelle de l’humanité, ces idéaux ne sauraient s’incarner que sur le temps long, celui de l’évolution du vivant dont ils marquent la direction. À moins que la prise de conscience des catastrophes mondialisées dans lesquelles nous sommes déjà engagés, ou, plus positivement, celle du sentiment de l’interdépendance planétaire, nous stimulent à freiner et maîtriser notre démesure. Les démocraties sauront-elles se donner à temps cette sagesse ?

Peut-être sans plus attendre faudrait-il ancrer ce sentiment d’interdépendance, à la fois concrète et ontologique, à l’école. Ne s’éveillerait-il pas mieux en effet chez des enfants qui auraient appris à le cultiver, dans la classe même, dans la coopération et le plaisir de réussir ensemble ? Cela ne nuirait en rien, bien au contraire, à l’excellence individuelle, surtout si au lieu de la fausse égalité des chances l’école offrait à chacun l’égalité de sens : réussir sa vie. Sans une bonne construction du « moi psychosocial » (G. Mendel), comment espérer une bonne construction du monde(*)? Inversement sans un monde non démocratiquement régulé comment espérer des individus pleinement libres et responsables ? Il s’agit là d’un nouveau paradigme liant, en réciprocité, la transformation personnelle et la transformation sociale et culturelle(**). C’est sur cette double dimension qu’une vraie culture de paix et de non-violence et plus largement une « anthropolitique », selon l’expression d’ Edgar Morin, pourraient se fonder.

C’est, dira-t-on, une vision utopique, comme en rêvait Hugo pour le vingtième siècle… Assagis par l’expérience nous pouvons en rêver, sans illusion pourtant, pour un avenir sans terme. Mais cela nous commande de mieux savoir vers quoi aller et comment y aller ? D’accorder l’utopie qui demeure la même avec les moyens qui sont nouveaux.

Encore faudrait-il remettre en question les remèdes peut-être utiles mais trop souvent réducteurs et simplistes qui sont proposés et, adultes, réveiller notre propre curiosité. Redevenir, parents ou enseignants, les enfants curieux et explorateurs que, très jeunes, nous avons été.

Et si enseigner, comme éduquer et soigner, demeuraient, pour une large part, des métiers à réinventer ?
(*)  G. Mendel, La démocratie en panne, La Découverte, 2003.

(**) Cf. Association Interactions TP/TS. Voir sa présentation dans le N° 35 de la Revue ou visiter son site Internet http://www.interactions-tpts.net

Notes :

1 : Le lecteur peut lire sur le site du Grand Débat national sur l’école la Contribution de la Revue de Psychologie de la Motivation, dans la rubrique « Débat national », section « Contributions des associations », texte qui peut être téléchargé ( http://www.debatnational.education.fr )

2. La Revue est associée aux travaux de :
a) la Coordination française pour la Décennie de la paix : http://www.decennie.org/
b) Interactions TP/TS : http://www.interactions-tpts.net
 
 

N° 37
REPENSER LA RÉUSSITE

 

Armen TARPINIAN
Réussir ?
Maridjo GRANER
Mais de quelle réussite parle-t-on ?
Jacques FERBER et Véronique GUÉRIN
De la réussite individuelle au chemin d’individuation
Évelyne BOUTEYRE
La réussite : le normal et le pathologique
Jean-Pierre POURTOIS et Christine BARRAS
Réussir sa vie, un défi ?
Edgar MORIN
L’éthique de la compréhension
Suzanne CITRON
Réussite : la République et ses contradictions
Georges HERVÉ
Réussir, échouer : deux obsessions anxiogènes de notre temps
Charles ROJZMAN et Thérèse ROJZMAN
Pour une réussite de l’école
Élisabeth MAHEU
Apprendre. Pédagogie de la découverte accompagnée
Jacques LECOMTE
Résilience : le triangle fondateur


Dialogues en humanité


Patrick VIVERET
I – Société de l’information, société de vivants ?
Bruno VIARD
II – L’humanité face à sa propre inhumanité
Daniel FAVRE
La violence : une question de valeurs ?
Bruno MATTÉI
Le rêve d’Europe…
Cyrille CAHEN
La philosophie : une réussite de l’esprit humain ?
Michel PORTAL
Croyances et laïcité
Michel DUSSAUD
Le livre de Job : une illustration emblématique de la relation d’aide
Najib ARFAOUI
Des mots qui nous fondent
C. CAHEN, A. DELOURME, C. GELLMAN, E. MARC, M. PAGES,

    L. TENENBAUM
La psychothérapie : un métier méconnu
Juin 2004
Réussir sa vie

Ai-je réussi ma vie ? Les signes extérieurs de succès ou d’échec, le statut social, disent peu de l’essentiel : du contentement ou du mécontentement intimes de nous-mêmes. Nés entre deux inconnus, celui d’une apparition improbable (pourquoi moi ?) et celui d’une disparition certaine, c’est à l’orée de cette dernière qu’une réponse vraiment authentique peut être donnée, comme le montre la paraboles des deux larrons sur la Croix. L’un revient profondément de ses errements tandis que l’autre persévère dans sa tendance à s’innocenter, en attribuant sans doute le mal qu’il a fait — qu’il s’est fait — au mal que lui aura fait le monde.

Réponse de la dernière heure ? Oui, d’une certaine manière, mais pas seulement, car la question se pose en nous durant toute notre vie, quand bien même on ne l’entend pas. A la fois émotion et intuition, c’est elle qui fonde le plus axialement l’inconscient, qu’on appelle celui-ci Soi, Surconscient ou plus simplement Conscience.

Ferment d’humanisation, la question de la vie réussie qui nous anime peut devenir tourment. Mal assumée, suite à une maturation psychique et sociale défaillante, elle peut nous entraîner vers diverses formes de dépression, ou pire, nous figer dans une apathie spirituelle découlant de la tendance à abolir la question. En réalité, la dernière heure concentre tout le parcours d’une vie, car l’idée de la réussite ne se laisse pas séparer de l’idée de la mort : la dernière heure n’est-elle pas toujours, imprévisiblement, celle que nous vivons à chaque moment, quel que soit notre âge ? Freud disait que pour l’inconscient, la mort n’existe pas. N’est-ce pas parce qu’elle est l’occurrence la plus certaine que nous la refoulons à ce point ?

Questions vécues

Pour parler à la première personne, à la question « Que fais-je de ma vie ? », les sentiments du « bien fait » et du « mal fait », à autrui comme à soi-même, se mêlent et m’interpellent. Fier ici, mécontent là, j’ai tendance à penser que ma vie ressemble à celle de beaucoup d’autres, joies et peines partagées, forces et faiblesses mêlées. La satisfaction que je partage aussi avec le plus grand nombre, c’est de ne pas abandonner la partie, quitter le sol trop vite, celle d’avoir aimé passionnément une vie qui ne fut pas que de bonheur. Jeté dans l’aventure inouïe du naître et du mourir, et du « comment je fais pour être heureux ? », la réponse, je la trouve dans le Livre de Job quand celui-ci comprend que la vie qui lui est donnée n’est pas une vie qui lui était due.

La quête de réussite, d’auto-estime et d’accord avec soi-même dépend pour beaucoup des réponses culturelles (des valeurs et du mode d’éducation) qui nous ont été transmises. Réclamant trop souvent une adhésion soumise, elles suscitent une intimidation de l’esprit. Penser par soi-même se vit alors comme une épée de Damoclès sur notre besoin d’appartenance et de reconnaissance. C’est pourquoi, disait Valéry, « peu de gens pensent » ! Aussi, la question de la réussite se morcelle-t-elle en d’interminables questions.

Réussir, est-ce aimer l’autre plus que soi-même, chercher la perfection et se décevoir, se détester de ne pas pouvoir l’atteindre ? Est-ce dans le monde se faire un nom en gagnant beaucoup d’argent, ou auprès de Dieu en renonçant aux biens terrestres, et dans les deux cas, être le meilleur, le premier ? Tuer et mourir pour sa patrie ? Jouir de tout pour fuir le rien qui nous attend ? Etre un artiste maudit ou au contraire  célèbre et riche, avec l’autre sexe à ses pieds ? Un anarchiste qui crache sur les lois ? Un voyageur infatigable autour du monde ? Rester libre pour toutes les rencontres amoureuses fugaces ou sidérantes, ou former un couple, avoir des enfants, durer dans le désir et la tendresse (le pire étant de vouloir les deux) ? Changer le monde pour le rendre juste et viable pour tous, fût-ce au prix de révolutions sanglantes, sans se changer soi-même ? Ou se changer soi-même sans souci de l’état du monde ? A la source de nos désirs et de nos peurs envahissant notre imagination, la multiplication  de ces questions est sans fin.

Aussi, la question de la réussite devient-elle celle de notre capacité à questionner ces questions, à mobiliser le plus humain en nous : la force de penser ce que l’on sent, de sentir ce que l’on pense ; de penser sa vie et de vivre sa pensée. Cela ne se peut qu’à une seule condition, ne pas délaisser l’intelligence et l’harmonisation du monde intérieur au seul profit de la connaissance et de la maîtrise du monde extérieur, ce qui conduit à l’impasse où nous sommes. Il nous faut apprendre à développer la clairvoyance introspective sur les motivations profondes et contradictoires qui nous animent : aussi bien du désir de réussite humaine qui nous inspire ou nous tenaille, que du risque d’auto-aveuglement vers lequel chacun de nous penche.

Instruite par la psychothérapie, magnifique cadeau de la culture du XXe siècle, l’expérience d’introspection et de compréhension de nos motivations intimes, qu’elles soient nobles ou barbares, nous offre l’occasion de vérifier la magnifique remarque de Marguerite Yourcenar : « Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même. »

C’est une expérience qui nous porte aussi à retrouver les voies anciennes de la sagesse universelle, à mieux comprendre leur sens et leurs préceptes ; sagesse en particulier des mythes dont sont issues les religions et leurs valeurs morales, mais décantées de leurs interprétations dogmatisées. Les découvertes psychothérapiques nous aident à retrouver non seulement les grandes finalités humanisatrices, amour, fraternité, justice, liberté, responsabilité, mais nous apportent surtout de nouvelles façons, concepts et outils, pour aider ces valeurs à prendre corps.

Réussir notre vie

Ces réflexions ne tirent leur justification que du désir de faire écho à tout ce que la modernité nous apporte d’inespéré dans l’ordre de la connaissance du monde intérieur et de son articulation nécessaire avec la connaissance du monde extérieur. De montrer qu’à côté des prodigieuses découvertes de la physique existent et se développent celles de la psychique. Élaboration collective dont émanent des pratiques psycho-sociales qui peuvent renouveler notre conception de l’éducation comme de l’action civique et politique. La démocratie, en crise de croissance plus qu’en régression, pourrait y retrouver une éthique du dialogue et de l’action qui l’aiderait à grandir.

L’importance vitale de cet avènement culturel n’est pas encore vraiment perçue et reconnue. La récente mésaventure de la règlementation de la psychothérapie témoigne de cette méconnaissance profonde chez les décideurs politiques. Après une tentative de passer par la bande pour imposer une loi aveugle, la bonne volonté de ces décideurs s’est quelque peu réveillée devant l’assaut de professionnels déçus et humiliés. Le texte voté apporte un réajustement relatif par rapport aux textes précédents. Toutefois la psychiatrisation excessive de la souffrance psychique qu’il veut imposer, témoigne encore du peu de compréhension véritable, sans parler d’empathie, envers la créativité de la psychothérapie et de ses apports potentiels à une réussite commune.

Paul Diel., Le Symbolisme dans la Bible ; la Divinité, ouvrages réédités en P.B. Payot.
Revue de Psychologie de la Motivation, N°35, L’art d’aider II : psychothérapie, culture, société, juin 2003.
 

N° 38
- LA QUESTION DU MAL

Armen TARPINIAN
Le mal, un mystère ?
Pierre CANOUÏ
Réflexions sur la question du mal et de l’intersubjectivité
Maridjo GRANER
Pourquoi tant de haine ? Psychogenèse du mal
Bruno VIARD
À la racine du mal
Jacques SALOMÉ
Comprendre le mal que l’on peut se faire
Patrick VIVERET
L’humanité a rendez-vous avec elle-même
Charles ROJZMAN
Mal ou maladies ?
Amid HAMIR
Le mal contemporain : un mal structurel
Catherine DOLTO
Une société fermée à l’intelligence de l’humain
Olivier CLERC
Une nouvelle vision du mal
Jeanne DIEL
L’enfant méchant
Edgar MORIN
La culture psychique
Jacques FERBER et Véronique GUÉRIN
Le mal, un concept dynamique. Des pistes pour s’en libérer
Serban IONESCU
Mal collectif et psychothérapie sociétale
Michel BOURGAT
Le bien de la résilience et le mal de la vengeance
Lina BERTOLA
Le désir éthique : habiter la vie…
Najib ARFAOUI
La peur et la paix
Bernard MUGNIER
Etty Hillesum, la souffrance surmontée
Claire RUEFF-ESCOUBÈS
Hommage à Gérard MENDEL

Décembre 2004
LE MAL, UN MYSTÈRE?

Bien que la Revue ait constamment traité, au fil de ses pages, de la question du mal, ses lecteurs l’ont souvent invitée à y consacrer un numéro entier. Cette demande repose sur la conviction qu’une approche fondée sur une analyse de nos motivations peut aider à faire du mal un objet de science : à savoir une réalité dont l’explication, l’éclaircissement, demeure à portée de l’esprit humain ; cela dans la perspective de connaissances par définition progressives et révisables.

Privé des explications animiste et mythologique (« esprits », démons, diable, forces du mal), pourquoi l’esprit humain, qui invente les formes les plus insoutenables de la barbarie, ne pourrait-il expliquer le mal qu’il produit ? On dit du mal, tant ses formes extrêmes nous sidèrent, qu’il est un mystère. Pourquoi ne le dit-on pas du bien ?

Face à nos faiblesses ou méchancetés communes, « ordinaires », nous disons « c’est humain ! » Mais nous ne le dirions pas d’Auschwitz, qui pourtant n’a pu exister sans une participation massive d’êtres « ordinaires ». Renforcés par la stupeur que provoque l’industrialisation froide et collective de ce délire de haine, sans doute est-ce la complexité des causes et les profondeurs subconscientes d’un tel Mal qui nous font parler d’un mystère.

Sans doute, cette croyance tient-elle aussi en partie à notre angoisse de nous dévoiler à nos propres yeux comme aux yeux d’autrui et, baignant encore inconsciemment dans une culture de la perfection et de l’irréprochabilité, à notre manière moralisante de nous introspecter.

Le pari fait ici n’est pas d’apporter la réponse, mais de montrer que la difficulté d’expliquer le mal ne doit pas nous le faire tenir pour inexplicable.
   

N° 39
- REGARDS SUR LA SANTÉ -

Regards
sur la santé

Armen TARPINIAN
Santé et sagesse
Bruno VIARD
À l’école de Montaigne
Maridjo GRANER
Santé et valeurs
Georges HERVÉ
Vers une écologie de la santé
Didier SICARD
Le corps en pièces détachées…
Édouard ZARIFIAN
Aux portes de l’intime
Xavier LAINÉ
Pour une approche systémique de la santé
Jacques LECOMTE
Trois axes du sens de la vie

… sur la pathologie

Pierre CANOUÏ
Le normal et le pathologique
Lucien TENENBAUM
La dépression au cœur de la modernité
Jean ZIN
Stress social et détresse des corps
Jacques SALOMÉ


Dépendances…


Cyrille CAHEN
Malvoyance. Réflexion sur le handicap
Isabelle CANOUÏ

À propos de quelques préjugés

 Michel DUSSAUD
La lutte avec le crabe

… sur la prévention et le soin

Charles ROJZMAN
Prévention de la pathologie sociale
Jean-Michel TAVAN
La bientraitance institutionnelle
Guy EVEN
La relation médecin-malade : son apprentissage…
Emmanuel HIRSCH
Hôpital : pour une éthique du soin (Entretien)
Georgina MÉLIOT
Au fil de la vie
Najib ARFAOUI
Une rigidité mentale, mortelle
Serge GINGER
La Psychothérapie : un métier reconnu ? (Entretien)

Santé et société

La santé est un état dont nous sommes génétiquement plus ou moins bien dotés et que favorise ou fragilise notre environnement écologique, social, culturel. Elle varie aussi selon nos habitudes de vie, d’alimentation et d’hygiène. Notre vécu psychique émotionnel, cognitif, relationnel et les divers comportements qu’il détermine n’est pas sans l’influencer.

Certes dans nos pays, malgré des îlots de pauvreté et de misère qui persistent et même s’accroissent, nous ne sommes plus menacés par certaines épidémies qui sévissent dans les régions du monde où la rareté, la pénurie domine. Face à cette pauvreté, nos problèmes de santé, leur médicalisation et leur marchandisation outrancières peuvent paraître indécents. D’autant que la plupart de nos maladies organiques, tout comme les maladies psychosociales, sont des « maladies de civilisation », rançon de nos excès : suralimentation, suractivité, surproduction ; course à la domination sociale ; compétition exacerbée qui commence dans les familles et s’aggrave le plus souvent à l’école et se poursuit tout le long de la vie professionnelle ; rivalité commerciale à qui absorbera l’autre ; commerce cynique d’armements. Sans parler des vaches que nos excès rendent folles, ni de la terre dont nos modes de vie risquent de faire de façon irréversible un tombeau pour l’espèce. Ce sont les effets de cette pathologie psychosociale que nous tentons de calmer par une médicalisation abusive, dans une quête éperdue « au bien-être » [1] et par les drogues dont l’alcool (quoi qu’on pense par ailleurs des autres stupéfiants) reste l’élément-roi : un malade sur sept en meurt dans nos hôpitaux.

Mais qu’il s’agisse ailleurs de survie ou ici de longue vie, ne demeurons-nous pas liés par un même attachement à la vie et donc par un même besoin de santé ? Les pays riches ne vivraient-ils pas mieux en aidant les pays pauvres à vivre plus par le partage de richesses dont les excès deviennent nocifs [2]. Cela d’autant plus que les stratégies économiques et politiques que nous employons pour les accroître nous conduisent vers de terribles impasses. On a le souffle coupé d’apprendre que la communauté des nations riches se donne quinze ans pour éradiquer la moitié de la pauvreté dans le monde, faisant passer cyniquement à la trappe l’autre moitié ! Alors que les ressources existent, dilapidées en surconsommation, en armements, en dépenses de prestige. Sans parler du gouffre des dépenses qu’une meilleure approche de la santé pourrait épargner…

Du bien-être au mieux-vivre

Bien que le risque d’un accident invalidant ou mortel ne puisse jamais être écarté, la santé demeure notre meilleur recours pour nous protéger de l’insécurité existentielle que nous partageons avec le règne animal, les mammifères en particulier ; à la différence près de l’appréhension tout humaine que nous avons du vieillissement, de la maladie et de la mort. Cette émotion élémentaire, cette tension entre bonheur d’exister et peur de mourir, n’est sans doute jamais si bien apaisée que quand un sentiment de bien-être physique irradie du corps vers l’âme (l’humeur ?). Nous en jouissons le plus souvent inconsciemment comme un fait allant de soi, une réalité inaltérable. Inversement, si la bonne santé est heureusement le lot de beaucoup, notre bonne santé personnelle nous apparaît de façon plus ou moins obsessionnelle comme un privilège qui va nous échapper. Le risque est  de courir après une santé qui serait gage absolu de longue vie, voire d’immortalité. La crainte de l’enfer qui sous-tendait la croyance en une vie après la mort devient dans notre monde sécularisé la crainte hypochondriaque de voir la maladie surgir et nous emporter.

Comme l’affirmaient Diel et Frankl, la maladie la plus profonde dont notre culture et nos pratiques de vie sont atteintes est la difficulté de donner sens à notre vie. Les « trous de la Sécurité sociale » s’expliquent pour une large part par les conséquences socio-pathologiques des « trous du sens » dont souffre notre esprit.

Pour répondre à ces observations il faut en venir à une acception élargie du concept de santé. Un détour sémantique autour du mot « bien-être » peut nous y aider. L’OMS parle de la santé comme d’un état de bien-être physique, d’équilibre psychique et social, dépendant à la fois de la responsabilité individuelle et collective. Mais que devient dans cette définition le sujet malade, infirme, handicapé, ou confronté à la mort ? Ne faut-il pas alors trouver un autre sens au mot bien-être que le sens que nous lui donnons couramment : celui d’un confort surtout physique, matériel, social ? Le terme être n’est-il pas alors coupé de sa signification la plus profonde, à savoir notre capacité à rester nous-mêmes, à évoluer pour mieux être, quelles que soient les conditions de vie dans lesquelles nous nous trouvons ?

Je suis Jean ou Jeanne, mais je ne suis pas ma sclérose en plaques, mon cancer du sein, ma chaise roulante. Je suis atteint(e) dans mes organes, pas dans mon être qui demande au contraire à s’accroître quand la vie me devient plus difficile. Le bien être c’est la force mobilisée pour changer ce qui peut l’être et accepter ce qui ne peut changer : l’art de satisfaire ce que Diel appelle notre désir essentiel. Tâche qui est pour chacun de nous la plus difficile, et dont on ne saura, dans le secret de soi, qu’à la dernière heure, si on l’aura ou non bien assumée. Cela ne se peut que si notre faiblesse et nos limites sont elles aussi assumées. La bonne santé est de vivre au mieux notre vie telle qu’elle va avec ses possibilités immenses, mais aussi, fragiles et limitées. C’est la conscience que nous en prenons et les choix que nous faisons qui, tout au long d’une vie, font de l’individu que nous sommes la personne que nous devenons. Cette évolution anthropologique et sa difficulté de réalisation est, de façon complexe, au cœur de la maladie du siècle : la dépression .

En clair, la définition vers laquelle ce regard sur la santénous oriente est celle de la « sagesse », sorte d’instinct qui se construit à partir de notre désir d’humanité. La sagesse s’entend ici non comme la réduction de la pensée à des normes ou à une frilosité de l’action, mais au contraire comme un accroissement d’humanité : de lucidité, d’amour et d’attachement-détachement à l’égard d’une vie qui à la fois nous porte et nous emporte.

Cette sagesse trouve à s’exercer dans les difficultés, les contrariétés quotidiennes, les griefs envers l’autre qui deviennent si facilement ruminations, ressentiments, haine. La sagesse peut cohabiter avec une bonne santé physique, la conforter, mais ne l’assure pas forcément. On peut être schizophrène et bien-portant, ou malade et lucide et joyeux. Les deux se rencontrent ! Les maux psychosomatiques sont plus malins et subtils que l’idée courante que l’on s’en fait…

Dans sa conception à la fois de bien-être et de mieux-vivre, la santé appelle une culture et des pratiques de prévention fondées sur une approche systémique prenant en compte les besoins du corps, de l’âme et de l’esprit. Approche qui – à côté des avancées de la biologie et des sciences de l’information et de la complexité – intègre les connaissances acquises tout le long du dernier siècle dans le champ des sciences humaines et sociales ; en particulier la compréhension de l’âme humaine et de ses rapports avec le corps qui nous vient de la recherche psychanalytique et psychothérapique (la psychique).

Je parlais du sentiment d’apaisement, de gaîté quand le bien-être physique irradie du corps vers l’âme. La sagesse agit à l’inverse, elle favorise un lâcher prise, un allègement, voire une légèreté psychologique qui laisse le corps faire son chemin vers la guérison souhaitée ou le cas échéant vers la mort.

La sagesse – santé de l’âme et de l’esprit et meilleure amie du corps – c’est d’apprendre à dire oui à la vie, mais aussi à ce à quoi, comme tout animal que nous sommes, nous voudrions pouvoir à toute force dire non…

[1] Édouard Zarifian, Le prix du bien-être, Odile Jacob, 1996.
[2] Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, Ed. de l’Aube, 2004.