«Rencontre» du 19 mai 2016
Hommage à Armen Tarpinian

 

Odile Leclerc, Psychopraticienne, nous propose le texte qu'elle nous a lu à l'occasion de cette soirée.

Il s’agit du témoignage de ce que j’ai vécu avec Armen Tarpinian.
Ma famille, mon père et ma mère l’ont connu à cause de graves troubles psychologiques : mon père était maniaco-dépressif, comme on disait à l’époque, et ma mère avait un terrain très anxieux et dépressif. Ils avaient tous les deux fait une tentative de suicide, alors qu’ils étaient en cure chez un psychanalyste freudien; j’avais 8 ans, mon frère 14, ma soeur 15.

Armen a pris en charge notre famille à la dérive, avec audace, courage et persévérance; mon père et ma mère ont suivi une thérapie pendant 20 ans, avec espacement à la fin, moi pendant 4 ans entre mon adolescence et ma vie d’adulte.

Armen avait une compréhension, une relation thérapeutique et des principes thérapeutiques très différents de la psychanalyse freudienne.
Il intégrait dans sa thérapie toutes les dimensions de l’homme: on peut dire, à la suite aussi d’Edouard Zarifian, qu’il a interviewer et rapporter dans son dernier livre, que l’homme est un être bio-psycho-social. Cela veut dire que pendant la thérapie (elles étaient toujours individuelles dans notre famille) j’ai travaillé avec lui sur mon terrain biologique, la compréhension de ma psyché, mes apprentissages, mes relations intra-psychiques, interfamiliales, amicales, amoureuses, associatives et sociétales. Ceci à chaque fois en considérant des instants «t», dans une dimension dynamique, toujours une évolution, (ou involution), et un devenir possible.

Je commencerais tout d’abord par le relation thérapeutique et l’accueil toujours chaleureux, même amical, au fur et à mesure du temps, proche mais toujours respectueux, bienveillant, sans être intrusif, et j’avais aussi l’impression d’un investissement affectif important de sa part. En général Eliane, sa femme,m’accueillait avec gentillesse et discrétion. Ce climat relationnel existait également au sein de l’Association de la Psychologie de la Motivation, que je vivais un peu comme une grande
famille.
Il y avait dans son bureau, derrière là où il s’asseyait, une reproduction d’un tableau dans les tons bleus, qui représentait un homme dont la tête et une main s’inclinaient pour protéger un enfant de 6-7 ans. Armen pour moi, représentait cette incarnation harmonieuse de ce côté Masculin et de ce coté Féminin chez une personne, à la fois ferme et ouvert. Il se plaçait à coté de son bureau, en diagonal par rapport à son client, à moitié de face, à de moitié côté, ensemble, mais aussi décalés, chacun libre de notre trajectoire. Je fais de même dans mon bureau.
Ma mère m’a rapporté quand elle arrivait chez lui trop mal, (avec un mari malade psychique, des enfants ado et une petite dernière, ainsi qu’une boutique pour faire bouillir la marmite), ils commençait la séance par aller dans le salon écouter de la musique classique. Armen n’hésitait pas à utiliser des moyens artistiques: musique, écriture (il trouvait que j’écrivais bien), poésie ou métaphores étaient fréquentes.
Par contre il m’avait proposé d’écrire un article dans la Revue de la Motivation; ce que j’ai fait; après l’avoir lu, il m’avait dit que c’était bien, mais qu’il faudrait changer le début, la fin et un peu le milieu. Il n’a pas eu de suite.

En ce qui concerne les principes thérapeutiques, je retiendrai «l’acceptation inconditionnelle « de ce que j’étais, là où j’en étais, avec une alliance thérapeutique : il m’a demandé une fois si je jugeais utile de prendre un anxiolytique, pendant une phase de déprime (ce que j’ai refusé), mais je me souviens encore 30 ans après cette question très thérapeutique, qui m’a placé en tant que sujet responsable et introspectif, en qui il avait confiance. « L’attention qui mène à la compréhension ». La recherche également du sens du symptôme de la déprime, qui parle aussi de nous à l’instant «t». C’est une crise, une malchance, mais aussi une chance d’apprendre sur soi. Il me replaçait dans le temps, le relatif par rapport à l’absolu, aujourd’hui est ainsi, demain autrement, et après demain encore différent. « Nous sommes des êtres inachevés et évolutifs », disait il.

«La prise en compte de la souffrance » était importante, je me suis toujours sentie entendue, reconnue, vue, considérée et aimée par lui, en tant que personne, qu’il prenait au sérieux même à l’âge de 20 ans. Comme il disait, la vertu thérapeutique est l’amour, la vie devient alors plus vivable, plus viable, l’angoisse diminue, les idéaux aussi, ainsi que les modèles abstraits. J’avais une grande tâche exaltée de perfection; il introduisait très souvent l’humour, et j’ai encore son rire sonore et grave dans les oreilles.

Il m’a aidée à développer mon être universel et mon être singulier, ma personnalité propre, dans les différentes sphères de ma vie de l’époque: étudiante, sentimentale, amicale, associative et familiale (ils connaissait mes 2 parents intimement, mais je n’ai pas l’impression que cela ait influencé de façon négative notre travail).

Nous avons travaillé sur l’estime de soi, avec le courage lucide de me regarder en vérité, mais avec cette bienveillance vis à vis de moi-même. Ce qui était assez nouveau pour moi, qui n’était pas souvent ni comprise ni acceptée dans ma famille. Cela a dégagé mon élan vital, en pointant mes points forts, mes qualités autant que mes fragilités à consolider. Il m’a fait parler de mon enfance, est resté sur un plan psychologique, sans discours (qu’il faisait de temps en temps, mais dans un esprit de dialogue, de connaissance du calcul psychologique, et toujours empathique).

La thérapie qu’il m’a proposé était une recherche ensemble de mes satisfactions (accidentelles et essentielles), et une recherche du sens de ma vie. Nous avons dégager mes tâches exaltées imaginatives par rapport à mes désirs réalisables et la mise en place pour les réussir. Nous avons tenté de comprendre le langage symbolique de mes symptômes, de mes rêves, de mes croyances.
Armen faisait également dans notre travail une place au corps: alimentation, détente, plaisir, sport, sexualité.

Pour lui, « le thérapeute est un détective de la délibération, un accoucheur de la personne, un chercheur, un mécanicien de la remise en route, un éclairagiste, un artiste créatif, un sourcier, un professeur de musique intérieur, un médecin scientifique, qui demande de l’écoute, de l’empathie, de l’intuition, du talent. On devient meilleur thérapeute en apprenant à aimer .»
«Tout ce dont l’homme a besoin est en lui » (Alain)

Si je dresse un bilan de ce travail, je peux dire par rapport à une sécurité existentielle, il a
su aider mes parents à sortir de l’impasse mortifère, voire mortelle dans laquelle ils s’étaient fourvoyés, en redressant le regard qu’ils avaient sur eux, sur leurs enfants, leur entourage et la vie. J’ai aussi fait ce travail avec lui, moi qui craignait ne jamais me marier et qui voulait changer d’orientation professionnelle tous les ans.

Sur le plan du besoin d’amour inconditionnel, Armen nous a aidé à vivre le présent quoiqu’il arrive, à nous donner des repères: à sortir de la sentimentalité et/ou de la carence affective.
Quant au besoin conditionnel, il a donné des repères éducatifs à mes parents, des moyens de réussir à moi, en valorisant la baisse de la compétition, et de la comparaison notamment familiale.
Quant au besoin spirituel d’être orienté, il nous a apporté des lectures, des explications, une appropriation de notre expérience toujours légitime, en s’opposant aux idéologies théoriques et radicales. J’ai expérimenté avec lui la diversité et la complexité de la pensée humaine, lui d’origine arménienne, moi bretonne et parisienne.

Pour conclure, mon père (architecte) disait qu’avec tout l’argent de nos thérapies, on aurait pu acheter un bel appartement à Paris; je pense aujourd’hui que l’aventure thérapeutique vaut bien plus que l’aventure immobilière; que la construction de sa maison intérieure est une énergie bien plus durable ; Je ne remercierai jamais assez celui avec qui j’ai commencé cette aventure, Armen Tarpinian, et j’étais loin de soupçonner où elle allait me conduire, car c’est grâce à lui aussi que je la continue avec d’autres dans mon cabinet de psychopraticienne.

Odile Leclerc ,18 mai 2016.

 

« Comprendre ce que nous vivons » 
« À la recherche de l'art de vivre »  Éd. Chronique sociale, janvier 2016.

Armen Tarpinian n’a pas eu le plaisir de tenir en mains cet ouvrage, dont il avait terminé de corriger les épreuves, mais qui est paru quelques mois après sa disparition. Il y attachait une grande importance et nous nous sommes proposé de le présenter ici à titre d’hommage à son ouverture d’esprit et au rôle de « passeur » qu’elle lui a permis de jouer entre la pensée de Diel, encore méconnue, et les autres courants de la pensée contemporaine dont rendent compte les entretiens qui forment la matière de ce livre.

Les quelques chapitres que nous commenterons ne sont qu’un
aperçu de la richesse des échanges qui s’y expriment et dont rend compte la diversité et la qualité des interlocuteurs de ces entretiens.

Ils pourraient être une invitation à en prendre connaissance.

Maridjo Graner