UN PATRIMOINE EDITORIAL
POUR UN NOUVEL HUMANISME

     La Revue de Psychologie de la Motivation a cessé de paraître depuis 2008. Elle aura donc vécu pendant 22 ans. Pour autant, elle n’a pas cessé d’exister, car elle fait partie d’un Patrimoine culturel commun auquel il conviendra désormais de se rapporter pour avancer de façon éclairée vers un nouvel humanisme, si nécessaire en ces temps d’incertitudes et de mutation civilisationnelle.

     Pourquoi un patrimoine culturel commun ? Parce que les questions que la revue a traitées sont celles du seul « commun » qui nous importe : celui de l’humanisation de l’être humain, dans sa dimension à la fois individuelle et collective. Et pourquoi Patrimoine ? Parce que tout au long des numéros de la revue se trouvent consignés des Idées-forces susceptibles de nous orienter dans cette direction anthropologique qui confère, peut-on dire, un sens immanent à la vie. Idées-forces pour le XXIème siècle est très justement le titre du numéro double qui a marqué l’arrêt de la publication.  Le titre quelque peu austère de la Revue de Psychologie de la Motivation a pu donner à penser que son champ éditorial la cantonnait dans un secteur très délimité des sciences humaines. Il n’en est pourtant rien. La revue a été créée en 1986, dans le prolongement de la pensée de Paul Diel (1893-1972) qui, après Freud et d’autres théoriciens célèbres, ont tenté de proposer une approche de la conscience humaine dans toute la complexité de son fonctionnement. Approche fondée de façon méthodique sur l’introspection, alors fort décriée en psychologie et sciences humaines, et avec la volonté de contribuer à l’avènement d’un « nouvel humanisme ».

     Un humanisme qui, faisant l’inventaire de l’héritage occidental, travaille à en réévaluer les fondements et les expressions (personnelle, sociétale, politique, éthique, économique) ; et à réarticuler les formes très désaccordées du développement individuel et du développement collectif. Une discipline que Paul Diel appelait la psychique – par contraste avec la physique – s’est constituée tout au long du vingtième siècle avec l’avènement de la psychologie des profondeurs. La connaissance de soi avait pris un retard potentiellement mortifère, disait Diel. sur la connaissance du monde extérieur. Enrichie par plus d'un siècle de découvertes, elle est en voie de pouvoir s'affirmer comme un champ essentiel de la culture humaine. Loin d’en rester aux exhortations, elle offre des outils concrets d’humanisation, intégrables dans la formation sociale, professionnelle et surtout scolaire, et cela dès l’école maternelle. Ses mo­dalités de transmission concrètes, largement diversifiées et expérimentées mais gravement négligées, faciliteraient pourtant l’appropriation des connaissances et la tâche des enseignants.

Comment relier vie personnelle et vie collective, esprit démocratique et institutions démocratiques, fraternité humaine et réalisme politique : motivations et actions ? Cette question est le fil d’or qui lie l’ensemble des numéros de la revue. Elle nous amène à penser que « c’est pour l’avoir ignorée ou sous-estimée que l’histoire a produit et produit encore les dérives tragiques que l’on sait.

La revue Psychologie de la Motivation, particulièrement réceptive à l’approche Complexe d’Edgar Morin, a su aussi créer des liens avec les divers courants de la psychothérapie et plus largement des sciences humaines et sociales ; et établir ainsi un réseau d’échanges et d’accordage avec des collectifs qui frayent dans la même direction :celle, selon l’expression même d’Armen Tarpinian, directeur de la revue, de donner sens et réalité au «désir d’humanité », qu’une politique aveuglée par « l’économisme » tend à dévoyer.

Il faut aussi souligner la participation  féconde de la revue dans les travaux touchant l'éducation dans le cadre de l'association Interactions Transformation personnelle/Transformation sociale et de la Coordination Française de la Décennie pour une Culture de paix et de non-violence.

Réaffirmons que ce patient travail a fini par constituer un Patrimoine éditorial qui mérite qu’on s’y arrête et s’y ressource, pour y puiser sens et réconfort pour la pensée et l’action.

Bruno Mattéi

Professeur honoraire de philosophie  à l'IUFM de Lille

 

POUR UN HUMANISME ECLAIRE

NUMERO 40 DE LA REVUE DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION, 2006

VINGTIEME ANNIVERSAIRE

 

L'humanisme s'apprend

 Ce sont les lentes évolutions qui, le plus souvent, font les vraies révolutions. Les méfaits de l’histoire sont généralement rapides, procèdent par explosions, même si l’on a pu assister, avec bonheur, à des « révolutions de velours ». Ainsi, l’on pourrait dire de la grande Révolution française qu’elle a vite sombré dans la Terreur, mais que ses idées-forces, tout comme les idées-forces du christianisme, sont demeurées de germination lente : la fraternité et l’amour sont loin encore de former le tissu serré dont l’humanité, pour survivre peut-être, aurait besoin ! L’aventure humaine en est encore, comme le rappelle souvent Edgar Morin, à sa préhistoire. D’autant que les mutations démographiques et technologiques en ont vivement complexifié le chemin.

L’invention de l’imprimerie, destinée idéalement à répandre « le meilleur », en l’occurrence la Bible, a autant servi à diffuser le pire. Celle d’Internet peut fédérer des solidarités et des actions politiques inédites et positives, mais peut aussi servir les causes les plus inhumaines ou délirantes. La vraie question, aujourd’hui, est de savoir si l’humanité parviendra à articuler   le temps de l’urgence qui appelle des solutions politiques et celui, lent, de l’évolution des mentalités, de la maturation psychique ; à parer aux dangers les plus menaçants, écologiques et sociaux, à ouvrir les voies et se donner à temps les outils nécessaires pour mieux vivre et survivre.

Progrès et évolution hélas! n’avancent pas au même rythme car ils ne sont pas du même registre ; l’un est de l’ordre de l’utile (ou non), l’autre du vital (cf. Revue n° 23). Inventer des armements « performants » et les vendre, comme on fait, aux pires dictatures, va plus vite que développer une vraie sagesse, collectivement partagée ! L’institution démocratique, même si elle demeure « préférable », comme dit Robert Misrahi, se perd elle-même si elle ne s’accompagne pas d’une éducation à l’esprit démocratique.

Il y a, comme nous le rappelle Jacques Robin, des raisons de désespérer, mais aussi des lueurs d’espérance liées aux sursauts de clairvoyance et aux pistes d’actions que déjà suscitent les anticipations du pire. « Un autre monde est possible… ». À quelles conditions ?

Hier, les peuples s’entr’égorgeaient ; aujourd’hui, des individus, seuls ou par petits groupes, pourraient, d’un simple geste technique, anéantir des populations entières.  Et l’on n’en est qu’aux balbutiements de ce langage obtus, haineux, meurtrier, par lequel s’expriment les frustrations et la désorientation individuelles et collectives. Après avoir surmonté leurs propres folies, nos démocraties, qui finissaient par se croire protégées, doivent prendre acte de leur vulnérabilité et, en même temps, de leur responsabilité : comprendre dans toute sa profondeur et son étendue, ce que l’humanité est en train de vivre ; ce en quoi nous sommes impliqués, comment nous pouvons, en urgence et en action patiente, réagir et agir. Il n’y a de vraie compréhension et d’action sensée que dans une approche systémique.

C’est dans ce croisement d’inquiétude vitale et de recherche de vraies issues que, depuis vingt ans, la revue puise sa raison d’être et le souci essentiel qui l’anime : relier ce qui est disjoint, la connaissance du monde intérieur (la Psychique) et les sciences du monde extérieur, l’introspection et l’action, l’éducation et la politique ; dépasser la double illusion de vouloir changer le monde, ou même plus simplement notre vie au quotidien, sans nous changer nous-mêmes, ou de nous changer nous-mêmes sans changer le monde. D’où l’insistance de la revue sur l’indispensable articulation entre le développement individuel et le développement collectif. On peut rêver des conséquences humaines et politiques que pourrait entraîner l’intégration d’un tel paradigme dans les études générales, à l’ENA par exemple !

 Apprentissages fondamentaux

 Ce numéro de Vingtième Anniversaire se veut une une illustration du chemin parcouru. Il rassemble des textes significatifs déjà publiés et d’autres, plus nombreux, issus du même souci qui est, pour l’exprimer autrement, de sortir l’humanisme des proclamations de bonnes intentions et de principes : de lui ouvrir de nouvelles voies et le doter concrètement d’outils d’humanisation.

Le terme "humanisation" désigne le processus évolutif qui peut nous conduire, individuellement et collectivement, à travers des apprentissages, et non des exhortations et des sermons, au déploiement de ce qui fait l’humain. A savoir, la qualité du lien dans toutes ses nuances, allant de la cordialité et la tolérance à l’amitié et l’amour, et la force du jugement dégagé des préjugés, la lucidité de l’esprit. Cela appelle des formes d’éducation, d’auto-éducation et de co-éducation qui ne sont pas toutes, loin de là, à inventer. Elles sont de nature à constituer un programme de réflexion, d’expériences et de formation, à la fois « éducatif » et « politique », sans lequel ces mots restent facilement des coquilles vides, et l’humanité un chemin sans repères.

On le sait, en France, plus qu’en d’autres pays d’Europe, malgré bien des instructions officielles et la pratique même de beaucoup d’enseignants, la représentation dominante demeure que l’école est un lieu de transmission de connaissances intellectuelle et, au mieux secondairement, un lieu d’apprentissage de la vie. Aux élèves de s’adapter au système – ce que beaucoup font, mais souvent à quel prix ? – et non au système de s’ouvrir à la réceptivité réelle des élèves, à leur rythme d’apprentissage, de comprendre les blocages, leurs causes et leurs remèdes. Cet aspect de l’éducation est entièrement négligé dans la formation des adultes qui ne l’ont pas non plus reçu durant leur parcours d’élèves.

Il en résulte que les apprentissages fondamentaux de connaissance de soi et de relation à autrui ne sont pas traités, ou de seconde main, alors qu’on en demeure toute sa vie les élèves.

Entre les solutions urgentes et la sédimentation patiente, l’éducation à la vie constitue le chemin mitoyen. Cela se comprend mieux si l’on donne un exemple : qui ne voit que les solutions politiques globales touchant aux questions graves de l’environnement ne sauraient être fécondes sans une éducation à la responsabilité personnelle qui dépasse le niveau de l’information ? (cf Georges Hervé, N° 39). Insistons. Les connaissances et les outils existent et ont fait leurs preuves. Mais ils attendent d’être intégrés, officiellement validés, généralisés. Leur négligence, nous l’avons souvent écrit, coûte cher aux personnes et à la société ; elle contribue à creuser « le trou » de la Sécurité sociale ! (voir N° 36, L’école en chantier…).

Ces apprentissages visant à répondre aux besoins fondamentaux des individus ne sont pas séparables des besoins de l’espèce humaine. La sagesse des uns assure la survie de l’autre : de l’humanité, dans son parcours ambivalent de solidarité et d’hostilité, d’intelligence et d’aveuglement.

Le titre de ce numéro désigne un humanisme éclairé et animé de connaissances et de pratiques « créatrices d’humanité ». À vrai dire, il n’est pas sans lien avec la forte réflexion que Jean-Pierre Dupuy nous offre dans son ouvrage Pour un catastrophisme éclairé : quand l’impossible est certain (Seuil, 2004). A savoir que, fondamentalement, l’on a tout à gagner à voir la réalité de la société telle qu’elle est et telle qu’elle va, à surmonter le déni de nos peurs, afin de mieux assurer les possibilités de sauvetage de l’embarcation humaine. Cela ne pourra s’accomplir que par des gains d’humanité, dans le sens où nous avons défini ce terme.

Humanisme et sciences humaines

Le siècle des Lumières a pâti des ombres qu’il a ignorées. Les temps n’étaient pas tout à fait mûrs et leurs meilleures leçons n’ont pas forcément été entendues.

La psychologie des profondeurs et son travail sur les ombres – quelles que soient ses vicissitudes et ses propres ombres rappelées et analysées ici par Edmond Marc – a permis de mieux comprendre et identifier ce qui, en nous, va contre nous-mêmes, et ce que peuvent être les ressorts permettant le déploiement des capacités humaines fondamentales. Entre barbarie et sociabilité, les lumières venues de la psychothérapie nous aident à nous orienter et à nous (re)construire. Et, dans le même dynamisme s’élargissent en sociothérapie. E. Marc écrivait dans sa préface à « L’Art d’aider II. Psychothérapie, culture, société » (Revue N° 35) : Si la psychothérapie a un rôle à jouer dans la société d’aujourd’hui, c’est d’abord comme instrument de base d’une relation d’aide qui tend à soulager les souffrances, les angoisses et les crises des individus. Dans ce sens, elle a apporté des notions théoriques, des outils pratiques et des valeurs éthiques tout à fait essentiels. Mais c’est aussi comme pourvoyeuse de concepts, d’exigences et de démarches qui trouvent à s’appliquer bien au-delà du domaine de la pathologie individuelle. Pour donner un exemple, l’approche non directive de Carl Rogers, élaborée dans le cadre de la thérapie, a permis de renouveler profondément les conceptions du conseil et de la relation d’aide, de la pédagogie, la façon de conduire différentes formes d’entretien et d’appréhender les relations de travail, la résolution des conflits, etc. Il en est de même pour la psychologie adlérienne, la psychologie de la motivation, l’analyse transactionnelle, l’approche systémique, la gestalt-thérapie… »(**).

On ne sait pas assez combien, déjà, ces applications d’origine psychothérapique agissent, assurent préventivement la résolution de beaucoup de conflits, ceux comme le disait Michel Rocard dont « on ne parle pas car ils ont été évités » (N° 28, L’Art de la paix). C’est aussi dans cet humanisme discret et actif, signe profond d’évolution que l’on retrouve dans de multiples actions associatives et citoyennes, que nous puisons notre confiance dans l’avenir.

Ajoutons que les acquis les plus avancés des sciences humaines, d’ailleurs fécondées par les connaissances issues de la recherche psychothérapique,

permettent un réensemencement de la culture dont la force préventive et formatrice contribue, dans le temps long, à armer l’humanité contre ses plus dangereuses faiblesses. Et, mieux, à développer ses meilleures capacités et ressources.

Mais parviendrons-nous à temps à accompagner la mondialisation, qui est une chance anthropologique, par une anthropolitique (Morin) qui évite qu’elle devienne notre malheur ?

L’idée-force de notre travail qui, nous l’espérons, devrait ressortir de ce numéro-synthèse, est que si vivre est un miracle qui devient question et destin, c’est aussi un métier qui tout le long de la vie s’apprend… C’est en quoi vieillir demeure, tant que l’esprit veille, une jeunesse.

Armen TARPINIAN

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REVUE DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION

«  Un grand coup de chapeau à cette publication qui depuis vingt ans conserve son cap humaniste et n’a pas honte de prôner les bienfaits d’une éducation épanouissante et créatrice, et la mise en pratique de la démocratie dans les relations humaines, organisationnelles ou interétatiques. Revue qui, au milieu des soubresauts de ce monde, entretient la lueur de l’espoir d’une humanité plus humaine…  » SCIENCES HUMAINES juin 2006

Numéros disponibles

  • N° 9 Du réflexe à la réflexion (entretien avec Edgar Morin)
  • N° 10 Psychologie et politique (entretien avec Jacques Robin)
  • N° 11 Regards sur la dépression (entretien avec Yves Pélicier)
  • N° 12 Croyance, science et foi (entretien avec Bernard d’Espagnat)
  • N° 13 Le regard intérieur (entretien avec Jacques Baron)
  • N° 14 Repenser l’éducation ?
  • N° 15 Éléments pour un nouvel humanisme (entretien avec Armand Petitjean)
  • N° 16 L’adolescence : les deux faces d’une crise
  • N° 17 Le lien social : du biologique au politique (entretien avec Gérard Mendel)
  • N° 18 L’école aujourd’hui et demain (entretien avec Philippe Meirieu)
  • N° 19 Regards sur le couple et sur la famille
  • N° 20 Repenser la Justice ? (entretiens avec J.-P. Rosenczweig et J. Van Thuyne)
  • N° 21 Le dialogue
  • N° 22 La chance de vieillir...
  • N° 23 Progrès et évolution (entretien avec Basarab Nicolescu)
  • N° 24 Le quotidien autrement (entretien avec Édouard Zarifian)
  • N° 25 Féminin-masculin : l’universel et le spécifique (entretien avec Évelyne Sullerot)
  • N° 26 Occident-Orient : les chemins du désir (entretien avec Roger-Pol Droit)
  • N° 27 Dépendances et liberté (entretien avec Éric Loonis)
  • N° 28 L’art de la paix (entretien avec Edgar Morin)
  • N° 29 L’art de vivre au troisième millénaire (entretien avec Robert Misrahi)
  • N° 30 Au cœur de nos motivations (quinzième anniversaire de la Revue)
  • N° 31 Éducation et humanisation. Vers une nouvelle discipline : la Psychique
  • N° 32 Repenser le développement individuel et collectif (entretien avec Edgar Morin)
  • N° 33 11 septembre 2001. Le choc des consciences (entretien avec Alain Caillé)
  • N° 34 L’art d’aider (I) De l’entraide à la psychothérapie (entretien avec Boris Cyrulnik)
  • N° 35 L’art d’aider (II) Psychothérapie, culture et société (entretien avec Charles Rojzman)
  • N° 36 L’école en chantier (entretien avec André de Peretti).
  • N° 37 Repenser la réussite...
  • N° 38 La question du mal
  • N° 39 Regards sur la santé
  • N° 40 Pour un humanisme éclairé
  • N° 41 Éducation et société
  • N° 42-43 Idées-forces pour le XXIe siècle

Documentation, Sommaires et Commandes sur le site http://www.psychomotivation.net

 

 

 

 

 

 

 

 

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