L'urgence de la métamorphose
La planète court-elle à sa perte ?

Trois questions à Jacques Robin * et Laurence Baranski** par Annie Battle

Q : La planète court-elle à sa perte ?

R : C’est l’humanité tout entière qui court à sa perte en détruisant la planète qui la fait vivre. La propagation accélérée du modèle occidental désormais basé sur la consommation, la croissance quantitative et le profit monétaire à court terme bouleversent tous les équilibres naturels et épuisent les ressources. Le culte du « toujours plus » et la croyance en l’existence d’un dieu « croissance » qui devrait régler tous les problèmes, grâce à un marché mondialisé de consommateurs gloutons, ne font qu’aggraver au niveau mondial les inégalités entre les « trop gros » et les « trop maigres »… Et attiser les comportements prédateurs des uns et les rancœurs des autres. Le comportement des puissants de ce monde décourage les travailleurs et les citoyens, toutes générations confondues. Les liens entre les intérêts personnels et collectifs qui donnent un sens à toute vie humaine, se délitent progressivement. Ce qui est en question ce sont les équilibres écologiques certes mais pas seulement, les équilibres économiques, politiques, culturels et spirituels de l’humanité sont tout autant concernés.

Q : Comment freiner cette course ?

R : C’est avant tout une prise de conscience généralisée de l’imbrication entre le destin de l’homme et de la planète, de leurs interactions, du fait qu’ils font partie intégrante de l’univers, qui peut ouvrir la voie à des transformations radicales. Fort de cette prise de conscience, si nous souhaitons donner à l’humanité une chance d’avenir, nous avons à prendre nos responsabilités écologiques et humaines. Il ne s’agit pas de se contenter de demi mesures ou de coller des rustines en revendant par exemple des droits à polluer, ou en signant des chartes ou des codes de bonne conduite. Nous avons besoin de solutions beaucoup plus globales comme en témoigne le Grand Sommet sur le climat de la Conférence de Paris, en janvier 2007. Des amorces de ces solutions existent déjà, on en trouve des exemples sur les cinq continents. Quant aux actions alternatives altruistes et solidaires, elles ne cessent de se développer. Elles restent encore ignorées par le système dominant. Dans notre ouvrage, nous proposons notamment de : - Renoncer à l’économie de marché pour nous engager vers une économie plurielle, mise au service de l’humain et non l’inverse. Cette économie plurielle doit s’appuyer sur une autre conception de la richesse qui aujourd’hui n’est mesurée que par des indicateurs quantitatifs et financiers tels que le PIB. Elle doit aussi, c’est majeur, intégrer la possibilité d’émettre des monnaies locales, ou des monnaies attachées à des activités humaines spécifiques. - Creuser, relier, promouvoir les pistes de renouveau qui se dessinent dans tous les domaines (revenu citoyen minimum, revenus maximums, décroissance sélective…) - Créer les conditions d’une culture du respect, de l’altérité, du brassage et du métissage en lieu et place de celle du mépris qui s’est généralisée : respect des humains les uns à l’égard des autres, à l’égard des autres cultures, des autres approches, de la nature, pour fonder une solidarité vivante entre les vivants. Essayer d’être les meilleurs « avec » les autres, pas « contre ». - Utiliser tous les moyens dont nous disposons grâce à notre entrée dans l’ère de l’information. Nous avons là une opportunité formidable et unique de déployer de nouvelles formes d’économie et de gouvernance.

Q : Si vous deviez donner la clé ou le verrou de ces transformations ?

R : Le passage du pouvoir/puissance au pouvoir partagé. Le noyau dur des débordements et dérives que nous évoquons constitue en même temps l’obstacle principal à la « métamorphose » indispensable et possible ; c’est la puissance des pouvoirs économiques, politiques, religieux qui dirigent la planète au mépris des humains qui l’habitent. La première réforme à engager est celle de la conception du pouvoir et de son exercice… Nous devons passer de la compétition à la coopération et l’émulation à tous les niveaux. Il y a urgence

*Jacques Robin a animé à partir de 1966 Le Groupe des Dix. En 1981, il a mis en place le CESTA (Centre d’Étude des Systèmes et des Technologies Avancées) puis a créé la revue Transversales Science Culture. Il est l’auteur de Changer d’ère, au Seuil en 1989.

Laurence Baranski, consultante auprès de responsables d’entreprises et d’institutions, a initié en 2001 le projet Interactions Transformation Personnelle - Transformation Sociale, au sein du réseau Transversales Science Culture. Elle a publié Le manager éclairé. Comment piloter le changement, aux Éditions d’Organisation en 2001.