Armen Tarpinian

Armen nous a quittés le 30 Mai 2015 à l'âge de 93 ans, laissant orpheline notre association : il en a en effet été le président et le pilier pendant des années avant d'en devenir en 2012 le président d'honneur, laissant la nouvelle génération faire fructifier son héritage.

Plus que sa vision poétique (1), mais certainement pénétrée par elle, c'est son activité de rééducateur de jeunes en difficulté scolaire et de psychothérapeute de la Motivation qui nous laisse le souvenir de sa finesse psychologique et de son humanisme souriant.

  Dans le cadre de l'APM il avait co-élaboré le programme de formation des futurs psychopraticiens de l'IFPM, et suivi de près son application, en surmontant les obstacles avec la "patience du rocher" qu'il évoquait dans un de ses poèmes.

  Infatigable promoteur de la pensée de Diel (1893-1972) (nous lui devons les rééditions de ses ouvrages et les éditions successives d'inédits publiés dans de petits livres thématiques), il avait fondé dans ce but, en 1986, la Revue de Psychologie de la Motivation. Il l’avait en même temps ouverte, dans la perspective de « refonder l’humanisme » sur des bases plus sûres que les injonctions et les bonnes intentions, à l’apport des sciences humaines, des écoles psychothérapiques, des sciences de l’éducation.
 Il avait en effet participé activement à différents mouvements d'idées qui l'avaient amené à côtoyer des personnalités telles que Jacques Robin, Edgar Morin, Basarab Nicolescu, Boris Cyrulnik, et bien d'autres, dans un enrichissement réciproque dont témoignent les nombreux "Entretiens" publiés dans la Revue.

  C'est dans cette même perspective qu'il avait par la suite créé l'Association Ecole, changer de cap, considérant que l'école, avec un objectif trop restreint à la seule réussite scolaire et sociale, avait oublié sa vocation anthropologique de promotion de la réussite humaine. Promotion qu'il poursuivait avec une persévérance obstinée ancrée dans sa foi dans la perfectibilité des hommes, dans leur humanisation possible, pourvu qu’on sache comment s’y prendre : avec lucidité, humour et amour, ces trois maîtres-mots. Il s'employait à faire pénétrer à l'école et à faire connaître dans la société l' "éducation psycho sociale", fondée sur la « psychique » (connaissance de soi et des enjeux de la relation humaine). Sans illusion sur le temps nécessaire à l’évolution des mentalités.
 

  Son autorité exigeante dans sa recherche du meilleur, qu'il s'agisse d'un article ou d'un projet de colloque, était compensée par un amour des hommes et de la vie, un humour que tous lui reconnaissaient, à la fois contagieux et formateurs.
  Ainsi en témoigne cet exergue qui clôt son dernier recueil de poèmes:
"Humour, père de la tolérance, frère jumeau de l'amour"

Il nous le laisse en héritage, laissons-le nous inspirer.

(Maridjo Graner)



(1) Poète dès sa jeunesse il a publié ses premiers poèmes entre 1948 et 1953 dans différentes revues, et apparaît depuis 1956 dans plusieurs anthologies de la poésie française. Gaston Bachelard à qui il envoie son premier recueil intitulé Première Santé (1952) et René Char à qui il dédicace Le Chant et l’Ombre (1953) lui écrivent leur profonde admiration pour ses poèmes.

 

Armen Tarpinian a été :

 Membre du conseil d’administration de l’Association pour la Pensée Complexe (APC)

 Membre du conseil d’administration de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P),

 Membre du Centre international de recherche et études transdisciplinaires (CIRET).

  Et, depuis 2001, de la Coordination française de la "Décennie pour une culture de paix et de non-violence" décrétée par l'ONU en 2000. Il y a participé à l’élaboration du "Programme pour l’École" de la Commission Education.

Président puis Président d’honneur depuis 2012 de l’Association de Psychologie de la Motivation (fondée par Paul Diel en 1964),

Co-fondateur de la Commission Education du projet « Interactions Transformation personnelle-Transformation sociale (TP-TS) dont les travaux ont été publiés sous le titre Ecole, changer de cap. Contributions à une éducation humanisante.
 

Président-fondateur de l’Association Ecole, changer de cap

Bibliographie

- Poésie : Le Chant et l'Ombre, Éditions de l’Arche, 1953

- Le Chant et l'Ombre, La Part commune, 2005 (édition augmentée)

- Il a codirigé l’ouvrage   Être Psychothérapeute. Questions, pratiques, enjeux, Dunod, 2006

- Et  École : Changer de cap. Contributions à une éducation humanisante, éditions Chronique Sociale, 2009 

- Dirigé   Idées-forces pour le XXIe siècle, éditions Chronique Sociale, 2009

- Ecrit Vivre s’apprend... Refonder l’humanisme, éditions Chronique Sociale, 2009

- Un article dans   Éduquer et Former. Connaissances et débats en Éducation et Formation, (Dir.) Martine Fournier, Éditions Sciences Humaines, 2010 

Coordonné Donner toute sa chance à l'école. Treize transformations nécessaires et possibles.., éditions Chronique Sociale, 2011

- Codirigé   L’Education psycho-sociale à l'école. Enjeux et pratiques, éditions Chronique Sociale, 2014 (Actes du colloque de 2013)

 
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Témoignages:

- Je suis très attristée par la nouvelle de la disparition d’Armen, qui suit de si près celle de Jane Cahen. Nous connaissions, mon mari et moi, Armen depuis très longtemps, nous avions été en analyse avec lui tous les deux et avions pu apprécier ses qualités humaines, son contact chaleureux et empathique, sa finesse psychologique et… son amour de la poésie. Les textes qu’il a su rassembler pour la revue de la Psychologie de la Motivation nourriront encore longtemps la réflexion des lecteurs qui l’ont accompagnée et de ceux qui auront la curiosité de la découvrir. Veuillez, je vous prie, transmettre nos condoléances et toute notre sympathie à la famille d’Armen, en particulier à son épouse. (H et G Menegaldo)

- Armen restera actif dans nos pensées et nos cœurs et il fait partie de ceux qui ont compté dans mon
propre chemin de conscientisation. (Arlette Hasselbach)

- En tant qu'ancienne adhérente de l'APM, je suis attristée par la mort d'Armen Tarpinian, j'envoie mes sincères condoléances à sa famille, à ses proches et aux membres du bureau de l'APM. (Colette Baudelot)

 

L'hommage de Gérard Langlois-Meurinne :

   Je souhaite compléter l'hommage rendu sur le site de l’APM à Armen Tarpinian en insistant sur une dimension peu évoquée de sa personne et de son travail : la conviction que changement personnel et changement collectif sont liés et sont en prolongement l’un de l’autre. Petit retour en arrière : beaucoup d'entre ceux qui ont découvert Paul Diel et la Psychologie de la Motivation dans les années 60-70 se sont engagés dans une "analyse", souvent de longue durée. Cet investissement sérieux visait bien entendu un mieux-être et une transformation personnels, mais souvent soutenu par un projet implicite sous-jacent : contribuer à avancer vers un "monde meilleur", qui serait quasi automatiquement engendré par les changements personnels. « Modèle » qui n’était pas dénué de sens mais un peu utopique. Paradoxalement, la perception d’un monde conventionnel méfiant vis à vis de Diel et l’audience relativement confidentielle de celui-ci ont souvent renforcé un repli sur eux-mêmes des "diéliens", se résignant à avoir peu d'impact direct sur le monde, au-delà de leur entourage immédiat.

   Armen est de ceux qui ne se sont pas  résignés, il a osé avec quelques autres mener un combat singulier et audacieux : transposer les enseignements et apports de la « psychique » du champ individuel au champ collectif. Son instrument a été bien sûr la Revue de la Psychologie de la Motivation dont il a cherché à "élargir" les thèmes, les collaborateurs et les lecteurs au-delà de la sphère « diélienne ».

   Cette aventure pouvait évidemment être dans un premier temps perçue comme une forme de prosélytisme diélien dont l'intérêt restait limité à la promotion de l'œuvre du "maître". En fait, ce premier objectif en cachait un autre qu'il faut ici reconnaître : l'intuition et la conviction que les outils, les découvertes et la vision anthropologique inspirée par les « psychologies des profondeurs », en l'occurrence celle de la de la Motivation, pouvaient avoir un impact neuf, original, peut-être même révolutionnaire sur le changement social et collectif. On peut distinguer plusieurs champs d’intérêt et d’étude dans cette aventure : (1) Champ n°1 : le cheminement personnel de l'individu allant de sa transformation/libération/maturation à travers son travail psychothérapique jusqu’à sa mobilisation pour s'engager plus efficacement dans le  changement collectif. (2) Champ n°2 : la transposition d'outils issus de la Psychique à la résolution de problèmes collectifs (Ex : la thérapie sociale de Charles Rojzman) (3) Champ n°3 : un enrichissement à partir de la Psychique des sciences humaines et sociales, à travers des domaines comme l'éducation, la justice, les pourparlers de paix (pour n’en citer que quelques uns) et plus largement de toute la vie en société, en visant ce que l’on nomme aujourd’hui un meilleur « vivre ensemble ».

   Le champ n°1 était comme une sorte d’évidence pour Armen. Alors sa démarche a surtout privilégié les deux derniers champs avec un certain succès. Son inlassable travail dans le champ n°2 est bien connu des lecteurs de la Revue de l’APM. Il s’est aussi engagé dans le champ n°3 avec sa large culture, sa plume alerte et beaucoup de conviction en cherchant à montrer comment l’expérience psychologique pouvait enrichir et même renouveler notre vision anthropologique en osant proposer un "Nouvel Humanisme" (Réf : « Vivre s’apprend, refonder l’humanisme », Armen Tarpinian, Edition Chronique Sociale, 2009). Sa méthode a d’abord consisté à faire ce que d’autres auraient pu faire, c’est à dire exposer et proposer dans un langage qui s’est voulu accessible l’œuvre de Diel et les travaux de ses élèves par le biais de la Revue ; mais au-delà de cela là il s’est lancé dans une entreprise originale que seul il pouvait mener : s'allier avec d'autres acteurs des sciences humaines (Edgar Morin, Jacques Robin, Patrick Viveret, Laurence Baranski, Barahab Nicolescu, Charles Rojzman, etc.) pour nouer des dialogues porteurs de sens et de pistes, bâtissant  des bases pour un humanisme des temps modernes. Il reste à souhaiter que d'autres aujourd'hui poursuivent cette tâche d’humanisation* en l’élargissant possiblement aux apports d'autres courants psychologiques tout en restant fidèle à l’esprit de cette « pédagogie du changement personnel et collectif ».

Pour terminer, une citation d’Armen lors d’une interview sur le blog «Indiscipline intellectuelle » en 2007 :

Question : « Armen, quel est selon vous l'enjeu majeur de l'époque que nous vivons ? ».

Armen : « La nécessité de créer un «humanisme lucide et actif » qui marche sur ses deux jambes : celle de la connaissance de la vie extérieure et celle de la vie intérieure ».

Gérard Langlois-Meurinne  (15/09/2015)