Retour sur la rencontre le 4 février 2016
Terrorisme et religions

Après les attentats du vendredi 13 novembre 2015, nous avons pensé que notre groupe de réflexion ne pouvait s'exonérer d'une soirée sur le thème du terrorisme.

Comme à nos habitudes, cette soirée s'est déroulée avec de courtes interventions qui ont été suivies par un débat d'idées animé par Isabelle Canouï, Psychopraticienne.

 

La soirée du jeudi 4 février sur la question d'un lien éventuel entre le terrorisme et la religion fut particulièrement réussie de l'avis de tous les participants. En effet, l'émotion devant ce que l'homme peut infliger à son semblable au nom de "son Dieu" n'est pas retombée et est encore vive dans les coeurs et les esprits. Le débat fut nourri, après les exposés - dont vous trouverez les textes -  de Maridjo Graner , Hélène Menegaldo et Christian Merle qui ont aussi donné leur place à d'autres entrées dans le fanatisme.
En début de séance, Isabelle Canouï avait lu des passages de l'oeuvre de Voltaire qui soulignent avec une modernité étonnante le lien entre le dogme religieux et le fanatisme.
Le débat fut l'occasion, à ce propos, de distinguer nettement "religion" et "religiosité" à la lumière des propositions de Diel. Un des participants a exprimé, à juste titre, l'apport positif des religions, à ne pas confondre avec le fanatisme religieux.
Ce fut l'occasion de conclure en disant que pour Diel seule l' image prise pour réalité peut mener au dogmatisme religieux. Son travail sur les mythes et le symbolisme apparaissent comme une solution magistrale aux confusions et aux croyances.

 

Hélène Menegaldo
L’URSS de Staline : un état théocratique d’un nouveau type ?

Netchaiev, dont s’inspira Lénine, publie en 1865 Le Catéchisme d’un révolutionnaire ; on s’engage en révolution comme on entre en religion ; les terroristes du 19e siècle sont des martyrs, des saints : le ton est donné !

1 – « Du passé faisons table rase »

Les bolcheviques se présentent comme un groupe d’initiés, dépositaires d’une doctrine infaillible destinée à assurer le bonheur de tous sur terre. Ils sont l’avant-garde du prolétariat,  nouveau « peuple élu » dont la mission est de  régénérer la société en la purifiant, au besoin par le vide et par le sang, qui doit couler à flots. À ces nouveaux croisés (Dzerjinski, le « glaive de la Révolution ») tout est permis, car ils apportent la vérité et la justice.
Le grand poète Alexandre Blok avait pressenti la nature du nouveau pouvoir dès les premiers jours : Les Douze de son poème sont des garde-rouges pilleurs et assassins, mais, invisible dans la tempête de neige, Jésus-Christ marche à leur tête…

2 – La nouvelle foi : le marxisme-léninisme

Le marxisme, doctrine politico-économique étrangère à la tradition révolutionnaire russe, se constitue en dogme intangible sous le nom de marxisme-léninisme à la mort du père fondateur, Lénine, suite au serment quasi-religieux prononcé par l’ancien séminariste, Staline : « En nous quittant, le camarade Lénine nous a ordonné de veiller à l’unité du Parti comme à la prunelle de ses yeux. Nous te jurons, camarade Lénine, que nous accomplirons Ton commandement avec honneur… » (7 paragraphes construits sur un mode identique). « Lénine est vivant, Lénine est avec nous » sera un mantra répété pendant 70 ans.
On détruit les églises et on dénonce la religion, « opium du peuple », mais le mausolée de Lénine remplace le tombeau de Saint Serge de Radonège (à Zagorsk, près de Moscou), les « lieux saints » de Lénine deviennent objets de culte dans une réappropriation des anciennes structures de la piété collective. Les célébrations du nouveau calendrier remplacent les anciennes fêtes religieuses. Chacun doit être prêt à sacrifier sa vie pour accomplir l’exploit, le haut-fait exigé par le Parti.
Cette nouvelle foi a ses zélateurs (les Tchékistes), ses convertis (les compagnons de route), ses traîtres et apostats (tous les opposants ou ennemis de classe), promptement éliminés, ses martyrs (les soldats morts pour la révolution). Au sommet, à la place de Dieu, le père du peuple, Staline, désormais seul dépositaire et interprète de la vraie foi, omniscient et omnipotent, entouré de la cohorte des nouveaux élus.

3 – La nouvelle éthique : matérialisme/spiritualisme, inversion des valeurs (tableau binaire)

Les dix commandements

1- Tu n’auras pas d’autres dieux que moi : Staline est ton seul dieu.
2- Tu n’invoqueras pas le nom du Seigneur ton Dieu pour le mal, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque son nom pour le mal : toute invocation négative du nom de Staline, toute critique entraînera un châtiment exemplaire (prison, déportation, mort).

3 - Tu respecteras le sabbat = remplacé par les samedis communistes.
4- Honore ton père et ta mère : tu dénonceras tes parents et tous tes proches, tu renieras ton père, tu tueras ta mère : cf. la nouvelle de Mykola Xlyvovy, Я (Romantica). Ta famille, c’est le Parti, ton père, c’est Staline, ta mère, c’est la patrie socialiste. (cf. le héros des pionniers, Pavlik Morozov, qui aurait dénoncé son père comme koulak).
5- Tu ne commettras pas de meurtre : tu détruiras les ennemis jusqu’au dernier.
6- Tu ne commettras pas d’adultère : l’amour est une invention bourgeoise, l’ancienne morale est supprimée.
7- Tu ne commettras pas de vol : tu voleras ceux qui t’ont dépossédé.
8- Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain : si la révolution l’exige, tu le feras : la délation devient une vertu.
9 et 10 Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient : tu prendras aux ennemis de classe, les koulaks par exemple, tout ce qui leur appartient, jusqu’au dernier grain.

Le nouveau commandement : la fin justifie les moyens.

4 – Le Verbe : « novlangue » et langue de bois – élément principal de la ritualisation de la société ; inclut la répétition (cf. les discours de Staline, créant un effet hypnotique), les stéréotypes ; exclut l’aspect ludique du langage : jeux de mots, calembours, anecdotes, etc., sont condamnés, comme atteinte au rituel ; une anecdote sur Staline pouvait envoyer au camp. La censure interdit la caricature et la satire comme genre, le mot sexe est supprimé : pendant 70 ans, les soviétiques auront le sexe des anges.


5 – Millénarisme et messianisme

Une nouvelle anthropologie : le monisme matérialiste, science qui permet d’orienter l’action révolutionnaire dans tous les domaines.
La nouvelle doctrine apporte la promesse de l’immortalité sur terre : cf. les expériences de Bogdanov : la transfusion universelle comme moyen de réaliser l’égalité (tous auront le même sang) et, en  renouvelant la transfusion, d’accorder à l’homme l’immortalité sur terre : fin des temps, fin de l’histoire.

Messianisme : porter la Révolution au monde entier pour créer le paradis sur terre.

Conclusion :
Millénarisme et messianisme, s’appuyant sur le terrorisme, sont à la racine d’autres expériences similaires (Cambodge, EI) où une idéologie, qu’elle soit politique ou religieuse, est imposée par un groupe fanatisé qui s’approprie le pouvoir.

Références bibliographiques
Robert Conquest – La grande Terreur, précédé de Sanglantes Moissons, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins.
Mykola Xlyvovy – La Route et l’hirondelle, préface de Leonid Pliouchtch, Monaco, Éditions du Rocher, 1993.
Sciences Humaines N° 279, mars 2016, Violence, 15 questions pour comprendre.

 

Christian Merle

Le Massacre des Innocents (Matthieu 2, 13-21)
Hérode est un tyran à la solde de l’empire romain ; il fait régner la terreur en Judée, allant même à faire
assassiner son épouse et deux de ses enfants accusés de complot.
D’un point de vue psychologique, le Massacre des Innocents représente ces enfants auxquels les parents
refusent une existence propre ; dès leur naissance, leur existence est déniée. Combien de personnes adultes
viennent en thérapie en avouant qu’elles n’ont pas l’impression d’exister. Elles ont subi des violences physiques dans leur enfance, infligées par des parents cruels refusant que leur enfant ait une dynamique de vie qui lui soit propre, empêchant leur élan vital de se déployer ; d’autres ont subi des violences psychologiques d’ordre incestuel, leurs parents les obligeant à répondre à leur propre désir, sans tenir compte de celui de l’enfant. Par exemple ces parents qui viennent demander à l’instituteur de donner davantage de devoirs à leur enfant pour qu’il travaille encore plus chez lui, sans tenir compte du désir de vie de celui-ci qui, afin d’obtenir, croit-il, l’amour de ses parents, s’empresse de répondre à leur demande. Massacrer un innocent, c’est également symboliquement empêcher que l’enfant vive ses émotions et les déploie dans un environnement bienveillant, accueillant. La pauvreté affective vécue par de nombreux enfants provoque chez eux un ennui « mortel » peu propice au déploiement de leur propre affectivité, provoquant repli sur soi et absence d’ouverture aux autres. Tous ces enfants se construisent en mode de survie, mais ne vivent pas leur existence propre et la thérapie est cet endroit où ils peuvent se reconstruire selon leur identité réelle.
Hérode représente donc un système de destruction qui s’abat sur l’enfant et voudrait le faire mourir ;
l’enfant suit la demande de ceux qui ne voudraient plus le voir, parfois même jusqu’au suicide.
L’enfant transgressif peut résister, ne pas s’installer dans un processus de destruction et barrer la route
à la mort de l’âme ; il s’expose alors à une violence accrue, comme si on le punissait pour avoir refusé de céder.
C’est ainsi que l’absence d’amour fabrique des enfants martyrs.
An niveau sociologique, l’obéissance aux conformismes ambiants peut également être à l’origine d’un
empêchement d’exister ; ces femmes qui ont des enfants sans véritable désir, mais pour répondre à un certain
conformisme social ; ces enfants qu’on oblige à développer une intelligence adaptée au système actuel de
production-consommation ; ils s’adaptent pour survivre, au prix souvent de très grands efforts qui les épuisent et les rendent inopérants pour déployer leur propre style de vie. Ce sont ces salariés qui, pour fabriquer un produit, quel qu'il soit, se conforment à des procédures déshumanisées dans lesquelles leur implication personnelle est réduite, les privant de leur créativité, de leur responsabilité et de leur pouvoir de décision. Le contexte d'hypercompétition règne et épuise les individus sans pour autant qu'ils obtiennent de la reconnaissance pour la qualité et la quantité de travail fourni. Ce sont ces étudiants dans le domaine de la santé qui comprennent que leur angoisse provient du regard réducteur bien souvent posé sur l'homme malade, pas toujours considéré dans sa globalité. Ce sont ces agriculteurs qui, entrés dans un système de production très contraignant, se sentent déconsidérés, acculés au désespoir ou obligés de revendiquer pour survivre.
« Devons-nous faire le deuil d’images idéales et de croyances enfantines, deuil de ce monde là que nous
aurions voulu et qui aurait dû être le nôtre, deuil qui nous rappelle l’immense possibilité de vivre ». (Bernard
Lempert : le désamour, éd.Seuil 1993) ?
D’un point de vue ontologique, Hérode est ce tyran , ou plutôt cette instance tyrannique qui peut nous
habiter et représenter ces désirs de puissance, de possession et de jouissance imposant leur volonté
d’accomplissement, au détriment du soi existentiel obligé de s’exiler pour ne pas être anéanti. La vraie vie, l’ultime réalité ne veut pas être reconnue, l’ipséité est mise à l’écart pour faire place à la tyrannie de nos désirs non harmonisés. Ne pas laisser la place à cette présence, cette force vitale aboutissant à la joie, la bonté et à la vérité, peut provoquer une colère intérieure parce qu’en la reconnaissant, les « mondanités », la « vanité » selon P.Diel, l’ego tout puissant ne pourrait pas gouverner.
Alors, je tue, j’élimine ces espoirs, ces élans de vie qui naissent en moi, multiples et représentant tous
mes désirs d’accomplissement ; la colère et la haine surgissent à cet endroit de nous même où nous ne sommes pas en congruence, en cohérence avec le soi qui n’est pas accepté (qui est refoulé en Egypte) ; elles tuent ces espoirs de vie, ces imaginations débutantes qui pourraient nous aider à être ce que nous sommes vraiment.
Donner le plein pouvoir au soi, engendré par la prise de conscience du mystère est-il une épreuve,
l’épreuve d’une vie qui reprendra sa juste place après la disparition d’Hérode, de ce qu’il représente ?
En sortant de la croyance littérale, les textes bibliques, en tant que récits de notre structure
anthropologique, voire de celle de notre imaginaire, nous aident à mieux comprendre qui nous sommes et ce que nous vivons.

 

Maridjo Graner

Vérité et pureté : deux piliers du fanatisme.
Je ne vais pas aborder tous les aspects du fanatisme mais me limiter à la question suivante : Comment en vient-on à se réclamer de valeurs reconnues comme telles  pour commettre des crimes qui révulsent tout être humain doué de sensibilité ?
En effet, pour le sens commun, la morale admise et plus généralement la conduite sensée de la vie, la vérité et la pureté (auxquelles j’ajouterai secondairement la justice), sont bien des valeurs.  Elles sont d’ailleurs liées entre elles. La vérité s’oppose au mensonge, à la tricherie, à la dissimulation, qui relèvent d’intentions qualifiées d’impures : comme échapper aux conséquences de ses actes ; obtenir des succès ou des avantages indus, serait-ce aux dépens des autres. L’honnêteté, la franchise, la bonté, manifestant au contraire la pureté des intentions, dont l’aspect essentiel est de ne pas se mentir à soi-même sur ses propres intentions, de ne pas laisser le besoin naturel d’estime s’exalter au point de  se cacher la vérité sur soi pour faire bonne figure à ses propres yeux et aux yeux des autres.
Vérité et pureté concourent donc à l’accord avec soi-même et à la solidité du lien social basé sur la confiance et le souci de l’autre comme de soi.  Les valeurs étant par définition les conditions de la satisfaction, elles sont bien des valeurs.
Mais ces valeurs sont relatives aux conditions dans lesquelles elles se manifestent, ou comme dit  Gérald Bronner, nous entretenons en général avec elles un rapport conditionnel.                 .
Par exemple : Après un attentat un terroriste en fuite est recherché par la police. Vous avez des renseignements sur sa cache. Si la police vous les demande vous lui direz la vérité.
(Encore que ce n’est peut-être pas un très bon exemple parce que : est-ce par souci de vérité ou pour sauver d’autres vies, ce qui est aussi une valeur?)
Mais c’est pour comparer avec une situation équivalente où la réponse est autre :
 Un dissident d’un état totalitaire, cherche à échapper à la police. Vous savez où il se cache. Si la police vous interroge direz-vous la vérité ou mentirez-vous pour le protéger et sauver sa vie ?
Nous voyons que la vérité n’est pas une valeur absolue. Il n’y a pas une échelle des valeurs préétablie. Toutes les valeurs auxquelles nous référons nos actions sont relatives les unes aux autres et relatives à nos motivations.
La pureté morale est celle des intentions, libérées du trop plein d’égocentrisme, celle des désirs, qui fait référence à leur relative harmonie, ni exaltés ni inhibés. Celui qui l’absolutise  et la ramène à l’obéissance à des prescriptions rituelles et comportementales, va combattre l’égocentrisme par le renoncement à tout intérêt personnel et l’exaltation des désirs par leur condamnation absolue, étendue à ceux qui les portent.
Ce qui distingue le fanatique de l’homme ordinaire est sa conviction que sa croyance le met en possession de LA vérité et qu’y obéir c’est incarner l’idéal de pureté. Et s’il accorde à cette vérité une origine transcendante, si c’est la parole de Dieu, elle devient d’autant plus indiscutable et ne souffre aucun compromis, et, de plus, aucun pardon ne peut être accordé à qui ne s’y soumet pas, ce qui justifie l’usage de la violence contre lui, à la fois comme punition  divine et action de purification.
Absolutiser ces valeurs ou, comme dit Bronner (1), entretenir avec elles un rapport inconditionnel,  conduit donc à juger les comportements sans considération des motivations qui les relativisent et donc à se considérer comme pur si l’on se conforme aux comportements prescrits par l’idéologie à laquelle on adhère, comme étant la seule vérité. Et impurs tous les autres, qui vivent dans l’erreur. Tous ceux qui n’adhèrent pas à cette vérité sont des mécréants, qui s’adonnent à des plaisirs impurs auxquels se refusent les vrais croyants, qui eux sont les purs. C’est vrai des intégristes de toutes les religions, y compris les bouddhistes comme on le voit en Birmanie ( contre les Rohinjas), mais surtout ceux des religions monothéistes.
Mais le fanatisme qui a consisté à vouloir purifier le monde par l’élimination des races impures (nazisme) ou l’intégriste qui souhaiterait purifier son propre pays par l’exclusion des  minorités et des étrangers portent aussi des projets du même ordre, bien que sans références transcendantes.
J’ai dit tout à l’heure que ce qui distingue l’homme ordinaire du fanatique était son rapport conditionnel aux valeurs. Ce n’est pas tout à fait vrai. Ceux qui ont répondu sur les caches pouvaient éventuellement se mettre en danger.  Les lanceurs d’alerte, les dénonceurs de corruptions, de malversations  cachées, ont ce même rapport inconditionnel à la vérité qui leur fait mettre parfois leur vie ou au moins leur liberté ou leur carrière en péril pour maintenir leur intégrité.
Gérald Bronner, encore lui, fait remarquer que si nous voulons éradiquer la corruption nous gagnerons en pureté ce que nous perdrons en humanité. Il ne s’agit pas, en effet, d’éradiquer mais de confiner la corruption dans des limites acceptables, qui, dans ces exemples, ont été dépassées. Car si nous laissons la corruption proliférer que gagnerons-nous ? Là encore tout est question de mesure et de motivation. Dire la vérité ce n’est pas la même chose que penser posséder LA vérité.
 Intégrité n’est pas intégrisme. L’intégrité est un rapport de soi à soi-même, qui ne concerne que soi mais qui, dans le même mouvement est un apport positif à la vie en société. L’intégrisme est une soumission à une vérité révélée, par Dieu ou par un gourou, qui permet de ne plus avoir à assumer la responsabilité de son propre jugement et dans le même mouvement dresse ses adeptes contre la vie et la morale commune.
Mais intégrisme n’est pas fanatisme. Les intégristes vivent dans une allégeance totale aux prescriptions de leur croyance et ne fréquentent que des intégristes, ce qui les  conforte dans leur conviction. Mais ils ne cherchent pas à  faire disparaître de la surface de la terre tous ceux qui ne partagent pas cette croyance. Pourtant la pratique religieuse intégriste est parfois un premier pas vers le fanatisme pour certains d’entre eux.  
Passer de l’un à l’autre demande un accroissement de conviction dont le premier pas  peut être franchi après un premier contact avec un de ces intégristes devenu prosélyte pour des raisons, par exemple, de reconnaissance personnelle et de pouvoir masquées en idéal universel. Séduit par son idéal il va séduire à son tour le jeune qui le rencontre parce qu’il saura répondre aux besoins insatisfaits de celui qui deviendra apprenti djihadiste (ou adepte de secte, ou d’une idéologie). Ces besoins sont exacerbés par les ruminations autour de sentiments d’infériorité et autour du manque : d’être aimé, reconnu, de venger humiliations, échecs, mais aussi de trouver un sens indubitable à sa vie. Ils seront comblés par l’accueil reçu dans ce premier contact. Le gourou (qui lui ne croit plus à cet idéal) saura habilement en jouer. Il lui donnera le sentiment d’être quelqu’un d’important, et en même temps d’avoir enfin rencontré la vérité qu’il a toujours cherchée sans jamais la trouver dans le monde matérialiste où il est amené à vivre. (Le communisme aussi proposait un idéal, plutôt de justice que de pureté, mais avec un aspect universel qui dépassait la justice sociale immédiate). Si ce contact se prolonge dans la fréquentation de groupes fanatisés ils lui manifesteront l’admiration due à l’élu, conforme à sa radicalisation progressive, et qui pourra lui faire endosser peu à peu le rôle du héros justicier capable de sacrifier aussi bien sa vie que celle des autres pour faire advenir sa vérité dans le monde, comme lui-même enfin purifié.
Voici comment Diel décrit cette radicalisation de la fausse motivation, dans toute l’ampleur que prend, par exemple à notre époque, le phénomène du djihadisme. (Extraits tirés du paragraphe sur la banalisation titanesque, chapitre  La Banalisation,  dans Psychologie de la Motivation) (2):
« Pour ce qui est de la banalisation sous sa forme titanesque, ses représentants historiques envisagent la domination du monde par le pouvoir politique[…]. Le fanatisme idéaliste - l’idée d’avoir à remplir une mission -  est assez fréquent […]. La puissance séductrice du type « titanesque » peut, si les circonstances s’y prêtent, devenir extrêmement grande. Car il réunit en lui les deux tendances les plus profondes de la nature humaine : la tendance à s’enthousiasmer pour un idéal et la tendance à déchaîner les instincts. C’est la combinaison de ces deux tendances qui crée le fanatisme pour le faux idéal.[…] le banalisé fanatisé et fanatisant peut réussir à séduire les masses, surtout si , à ce moment historique, la vision du vrai idéal est trop obscurcie pour pouvoir combattre le faux idéal [...] fanatisé par son faux idéal, enivré par sa réussite, séducteur séduit [il] étendra sur le monde entier ses desseins démoniaques [sans culpabilité]. Car tout en détruisant le monde il se persuadera d’avoir une mission à remplir, d’être l’améliorateur envoyé par la providence.[…] toute pitié amélioratrice basée sur des projets vaniteux et coupables […] se transformera en accusation destructrice [en inquisition fanatiquement justifiée d’étouffer ] la moindre opposition contre le faux idéal, pour le « bien » du monde dans le sang du monde ».
(1)    G. Bronner, La pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques, Denoël 2009, PUF 2016
(2)     P. Diel, Psychologie de la Motivation, PUF 1947…  PB Payot 1996

 

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