Hommage à Paul Diel
(1893 - 1972)

 40 ème ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE PAUL DIEL

Paul Diel, né à Vienne (Autriche) est mort à Paris le 5 janvier 1972.

 Quarante ans après, son oeuvre entièrement publiée aux Éditions Payot, s'est accrue depuis 2007 de quatre ouvrages composés d'inédits: "Le besoin d'amour","Science et foi", "Angoisse et joie". Et "Ce que nous disent les mythes" dont la sortie coïncide avec cet anniversaire.On trouvera  en fichier joint la présentation par l'éditeur de cet ouvrage. Celui-ci sera suivi en 2013 par la publication de nouveaux textes inédits réunis sous le titre "La démarche introspective". 

 En hommage à Paul Diel, nous reprenons ici la Chronique que lui consacra le grand écrivain André Chamson dans le Figaro du 25 janvier 1972, suivie de sa  biographie, Le singulier et l'universel,  par  Armen Tarpinian, ainsi que le riche entretien du Dr Cyrille Cahen interrogé par la Revue "Commencements". Suivront une toute première recension de cet ouvrage parue sur le Web (Tournezlespages' s Blog). En pièce jointe la présentation du dernier ouvrage par l'éditeur.

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" DANS CE MONDE INATTENTIF '  par ANDRE CHAMSON

PAUL DIEL vient de mourir. Les Journaux l'ont annoncé. Mais qui connaît cet écrivain, ce philosophe. Quelques amis, quelques admirateurs. Dans ce monde inattentif qui est le nôtre, il est bien loin, en tout cas, d'avoir la notoriété d'un chanteur sans voix. Pour moi, j'ai eu la chance de le connaître et j’en mesure aujourd’hui le prix... Il y a des années, déjà, que des amis m'avaient envoyé La Peur et l’Angoisse et, du premier coup, je fus accroché par ce livre. II y avait là une pensée originale et forte, un souffle large. Je fus surtout frappé par la grande fresque poétique qui sert de prélude à l'ouvrage, genèse de la psyché à partir du noyau de la vie originelle, de la cellule primordiale, première porteuse de la vie. Le mystère de l'animation une fois admis - et comment ne pas l'admettre et l'admettre en tant que mystère ? Diel nous montrait dans la diastole et dans la systole de l'angoisse et de la satisfaction vitales, la pulsation même de l'esprit. De cette première pulsation, il nous menait, par évolutions successives, jusqu'au cœur même de l'intelligence moderne, dont la complexité contenait toujours la contradiction originelle et son antagonisme créateur.

Ce psychologue, dont l'œuvre s'ouvrait par cette vision de poète, suivait ainsi l'enchaînement des causes et des effets, sans jamais perdre le contact avec les mouvements de son propre esprit, et raisonnait sur l'esprit en le regardant vivre au fond de lui-même. C'était assez pour donner à un romancier le désir de connaître ce philosophe. Et c'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Diel.

C'est chose rare qu'un homme voué — et entièrement voué - à la vie de l'esprit. Plus rare encore l'aventure d'un esprit qui tente de se pénétrer lui-même et, dans sa quête objective de la vérité, ne perd jamais le contact avec ce que sa propre vie — son point d'impact avec la vie universelle — peut lui apprendre. C'est ce que j'ai trouvé chez ce théoricien des « motivations ».

Quel romancier, familier de l'effraction psychologique, ne serait séduit par les perspectives ouvertes par une semblable pensée ? Je l’ai vivement senti un jour où j'amorçais le portrait d’un jeune garçon en faisant ressortir une « fausse motivation » qui me semblait évidente. Diel, alors, de question en question, reconstitua tout le paysage intérieur de ce personnage que je connaissais fort bien et qu'il n'avait jamais vu. On aurait dit un de ces paléontologues qui, à partir de quelques vertèbres ou d'un fémur, reconstituent tout un animal disparu.
Mais Diel n'était pas un de ces mécaniciens de la psyché qui se contentent d'en démonter les fragiles machineries. Sa recherche s'insérait dans des perspectives plus larges, et c'est ta totalité de la vie psychologique qu'il s'efforçait de saisir.

Ce n'est pas assez dire ! Il ne suffit pas de comprendre. Il voulait agir aussi, car toute lumière est source de vie, et tout véritable psychologue est aussi un thérapeute.
Au-delà même de cette thérapeutique, la psychologie de Paul Diel porte en elle un pouvoir de redressement, d'accomplissement et de plénitude. Elle nous enseigne qu'au-delà de la morale, et des morales, il y a une harmonie de l'esprit et que cette harmonie est la plus haute fin de la condition humaine. Rien de tout ce que je viens d'écrire ne peut donner une idée de ce qu'était la conversation de Paul Die!, et son pouvoir de persuader, et sa présence... C'est surtout sur cette présence perdue que j'ai voulu écrire cette chronique*.

André CHAMSON. De l’Académie française

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VIE DE PAUL DIEL :  LE SINGULIER ET L'UNIVERSEL, par Armen TARPINIAN

 A la différence de Freud, d’Adler et de Jung, dans la lignée desquels le plaçait Henri Wallon, Paul Diel, psychologue français d’origine autrichienne (1893-1972), n’a pas, en premier lieu, élaboré sa conception du fonctionnement psychique à partir de la souffrance d’autrui. Il n’était pas médecin : il fut, on le verra, son premier patient... Philosophe de formation et passionné de science, il était aussi poète et avait eu l’ambition de devenir romancier. Sa correspondance avec Musil ou Schnitzler témoigne de son intérêt pour la littérature.
C’est au cours de l’élaboration d’un roman dans lequel il voulait concentrer l’essentiel de son expérience et de ses interrogations qu’il découvrit l’œuvre d’Adler puis celle de Freud. Il y trouva un éclairage salutaire sur les motivations qui le tourmentaient et, sans sous-estimer ce qu’il avait pu apprendre des philosophes et plus encore des grands découvreurs d’âme de la littérature — les tragiques grecs, Shakespeare, Cervantès, Dostoïevski, Zola — il prit la décision de faire œuvre de psychologue.

 Prenant en compte la notion d’inconscient et de refoulement chez Freud et celle des sentiments d’infériorité et de supériorité - condensés dans la notion de « politique de prestige » - chez Adler, il s’investit dans un travail d’auto-analyse méthodique, découvrant la causalité secrète de sa souffrance (il dira plus tard la légalité, les lois du psychisme). C’est la tendance à l’évasion imaginative et à la fausse justification de soi-même - « péché originel de la nature humaine » - qu’il repérait ainsi en lui-même. Il décrira plus tard les méfaits individuels et collectifs que cette tendance entraîne, et le bienfait d’apprendre à s’en libérer.

 Sa décision essentielle tint dans ces quatre mots : ne plus me mentir. Il avouait même s’être dit « me comprendre ou me pendre ». La lecture d’Adler lui fit mettre le doigt sur ce qui déterminait de façon contradictoire, ambivalente, beaucoup de ses sentiments et de ses comportements : la quête obsédante de l’estime d’autrui, accompagnée du doute sur lui-même et de la fuite dans des imaginations compensatrices et dans des justifications faussement apaisantes. « Quel est ce névrosé dont parle Freud ? » s’était-il demandé. Question analogue à celle posée par le Sphinx à Œdipe. Mieux qu’Œdipe, peut-on dire, il sut répondre : « Cet homme, c’est moi ». « Je serais devenu paranoïaque sans ce regard nouveau, volontaire et méthodique sur moi-même », disait-il. Il comprit que l’homme reste le jouet de ses motivations tant qu’il n’en saisit pas les racines et le sens. Élucidant son propre parcours, il comprit la nature de la souffrance que peut vivre l’enfant : l’insuffisante réponse à ses vrais besoins de sécurité, d’amour et d’estime, ses frustrations, la révolte-soumission née de son désarroi. Mais il comprit aussi comment l’enfant accroît lui-même ce désarroi par sa fuite dans les rêveries et les fausses justifications.

 Il appellera fausse motivation cette tendance à s’évader de soi-même et à se duper subconsciemment. Il n’avait eu, en effet, qu’à revenir à sa propre histoire : celle d’un enfant né à Vienne d’un père inconnu, d’une mère aimante mais contrainte de le placer très tôt dans un orphelinat religieux aux mœurs ascétiques et répressives. Il retrouva avec bonheur à 13 ans une vie commune avec sa mère, mais celle-ci mourut un an après. Il fut sauvé de l’abandon complet par un tuteur attentif, père de 5 enfants ; ceux-ci ne réagirent pas sans jalousie à l’arrivée de cet intrus… Aussi choisit-il, après avoir réussi son baccalauréat, de vivre en toute indépendance, au prix, il est vrai, d’une très grande pauvreté. Une grave blessure au bras survenue au cours d’un duel d’étudiants, encore à l’honneur dans la Vienne de 1910, lui valut de longs séjours à l’hôpital ; il les évoquait comme de longues haltes, bénies, qui lui permettaient de s’adonner avec insouciance à l’étude de la philosophie et des sciences. Cette infirmité lui valut aussi d’échapper à la première guerre mondiale.

 Grâce à sa femme, française, il put, en 1938, quiiter l’Autriche devenue nazie. Venu en France, il dut passer les années de guerre au camp de Gurs où le régime de Vichy regroupait les étrangers considérés comme indésirables. Il réussit malgré tout à remplir des cahiers entiers de ses recherches sur le symbolisme des mythes. Avec l’appui d’Einstein, qui dès 1935 avait reconnu l’importance de son apport (« Votre œuvre est un remède à l’instabilité éthique de notre temps » lui écrivait-il), il entra en 1945 au CNRS dans le Laboratoire de Psychobiologie de l’enfant que dirigeait Henri Wallon

 À 54 ans, en 1947, après beaucoup d’essais infructueux de publication de ses premières œuvres écrites en allemand, il publia "Psychologie de la motivation" aux Presses Universitaires de France. Il avait eu la possibilité d’exercer et de développer les applications psychothérapiques de sa méthode introspective à l’hôpital central de Vienne, dans le service d’orthophonie, puis à Paris à l’hôpital Sainte-Anne dans le service du Pr. Claude, et par la suite chez H. Wallon. Celui-ci témoigna avec force de ses succès thérapeutiques auprès des enfants et des adolescents pré-délinquants de l’après-guerre.

 De ce parcours singulier, Paul Diel sut tirer des propositions universelles, offertes à l'expérience de chacun, sur ce qui peut conduire l’être humain vers l’angoisse ou vers la joie. La vie de Diel a été un modèle de "résilence", nous dirait aujourd'hui Boris Cyrulnik. On pourrait même ajouter que sa théorie et sa pratique psychologiques, fondées sur le socle de la "recherche de satisfaction", nous permet de comprendre comment s'opère cette résilience face aux pires malheurs : comment en développant à la fois ses forces d'acceptation et d'action, le sujet "tricote", selon le mot de de Cyrulnik, sa réémergence vers l'apaisement de l'angoisse, la confiance en soi et en autrui, sources de la joie de vivre.*
                                                                                                                                          Armen TARPINIAN

 A.Tarpinian, De l'angoisse vers la joie. Psychothérapie de la motivation", in " Vivre s'apprend. Refonder l'humanisme  Editions Chronique Sociale, 2009.

........................................................................................................................................................................................................ Dr Cyrille CAHEN
REVENIR AU DESIR ESSENTIEL REVUE COMMENCEMENTS N° 2, octobre 2011 

Commencements :

Docteur Cahen, l’on constate aujourd’hui un malaise chez beaucoup de gens, alors même qu’ils sont matériellement privilégiés. Certains vont jusqu’à abandonner des choses que notre époque juge désirables pour vivre d’une manière totalement différente, plus frugale, et ils s’en trouvent heureux. Il nous semble que Paul Diel a des clés pour nous aider à comprendre ces réajustements de « l’écologie personnelle » et pour apprendre comment en restaurer l’équilibre...

Cyrille Cahen :

Diel ne parlait pas d’écologie, à l’époque on n’utilisait pas ce mot, mais le sens est bien proche. Le maître mot de Diel est l’harmonie– où l’on peut très bien « loger » écologie et équilibre. Diel avait cette particularité, que certains ont critiquée, d’utiliser peu de mots, parce qu’il ne voulait pas jouer de manière littéraire avec les termes. Pour lui, les mots avaient un sens précis, comme en science. Harmonie recouvre beaucoup de choses, évidemment. Peut-être le terme d’harmonisation, plus dynamique, rendrait-il davantage compte aujourd’hui de ce que recherchait Diel. Quoi qu’il en soit, vous êtes parfaitement en droit d’utiliser « écologie », « équilibre », pour vous expliquer à vous-même « harmonie »… L’écologie est quand même la recherche qui vise à rétablir une harmonie dans les productions naturelles de la Terre, n’est-ce pas ?

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CE QUE NOUS DISENT LES MYTHESTexte publié sur le BLOG. :  Tournezlespages' s Blog

"On ne dira jamais assez de bien de la radio de service publique dans ce rôle de passeur de culture. Lorsque j’ai entendu le compte rendu de cet essai, je me suis immédiatement rendu chez ma charmante libraire _ qui a l’excellente idée d’avoir son échoppe en face de chez moi, -et je ne cesse de m’en féliciter. Car cet ensemble de textes   inédits du psychologue d’origine autrichienne est tout simplement formidable. Le symbolisme enfin libéré de sa gangue de traditions esotériques de mauvais aloi mais passé à la moulinette des découvertes sur le moi, le surmoi, le ça qui agite le XXè siècle.

Paul Diel a bien évidemment travaillé sur les mythes grecs mais il a aussi visité l’empire jusque là inexpugnable de la religion chrétienne, de manière beaucoup moins hystérique que Freud quelques décenies auparavant. Car ce qui fait la valeur du travail de Diel c’est la distance et la finesse de l’analyse. Le psychologue n’a de compte à régler avec personne ce qui donne à son travail une grande profondeur. Désamorçant la portée polémique de son travail, il analyse, explique avec beaucoup de précision et sans aucune pédanterie le cheminement de son travail.

Avec la trilogie des archétypes, Diel revient également sur le travail des grandes figures de la profonde mutation de notre rapport à nous même, et particulièrement sur le travail de Jung et c’est là que l’auteur établit le lien entre l’inné et l’acquis, entre le psychique construit et les schémas mentaux hérités. Anima et Persona, les jumeaux parfaits  .

Dans le dernier texte présenté ici, psychologie et art, Diel nous promène dans l’opposition entre art comme activité au-delà de la personne et art utilitariste pour nous rappeler que comme toutes nos activités l’art est d’abord le produit de notre intense et permanente activité psychique. Ce qui en fait toute sa valeur, mais également toute sa fragilité.

L’ensemble de textes publiés dans différentes revues il y a plus de 60 ans est totalement moderne et passionnant. Paul Diel est sans nul doute ma découverte de ce début d’année et un livre qui ne quittera pas de sitôt mon sac..."      

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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