APPARTENANCE ET LIBERTÉ
Essai.

       Ce dont il est question dans cet essai est la présence au monde, dit autrement, l’existence, ou encore : le vécu. On ne dira pas : le donné, qui implique la dualité de l’un qui donne et de l’autre qui reçoit. La présence au monde, l’existence, le vécu sont trois manières de désigner la réalité, la seule qui soit ouverte à l’expérience existentielle.

      Contrairement à ce que suggèrent ces prémisses à coloration théorique, ce travail tente d’éclairer notre présence au monde, notre être-au-monde dans sa dimension la plus concrète : celle de ses investissements, ce que j’ai nommé ses « appartenances » qui sont les voies singulières à travers lesquelles nous déchiffrons, nous expérimentons et nous transformons le monde.

      Nous sommes « jetés » dans le monde nous dit Heidegger, par quoi il exprime, non pas qu’une main divine nous aurait projetés intentionnellement dans un « ici-bas », mais que nous nous trouvons « là », sans pourquoi ni comment comme si nous y avions été jetés. Pourtant si jetés nous sommes, nous ne le sommes pas dans un vide, mais dans une culture, c’est-à-dire dans un monde interprété. Dans la culture, nous « choisissons » divers modes d’appréhension et de modification du réel : ce sont nos appartenances. Celles-ci sont nécessairement sous-tendues et animées par l’appartenance fondamentale et fondatrice à l’existence en tant que telle, qui a, comme Janus, une face tournée vers nous, celle du sensible et de l’intelligible, l’autre tournée vers le mystère qui baigne l’existence, son origine et son « pourquoi ? », à jamais inaccessibles.

      Notre sort, c’est-à-dire la somme de nos joies et de nos souffrances, dépend évidemment de la part hasardeuse qui nous est échue en fait de santé, de richesse, de beauté, et sous quel régime politique, et sous quel climat nous sommes nés. Mais plus essentiellement, notre qualité d’être, que l’on pourrait appeler aptitude au bonheur, dépend de notre capacité à maintenir vivante et créative cette présence au monde si précieuse, mais si vulnérable à l’emprise de l’habitude, de l’ennui, voire de la désespérance.

Cyrille Cahen

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